Dîner avec The House of Loss (Maison de retrait)
Entretien avec Jinkyu Jeon, réalisateur de The House of Loss (Maison de retrait)
Pouvez-vous nous en dire plus sur le choix du titre ?
Il y a dix ans, j’ai travaillé dans une maison de retraite dans le cadre de mon service militaire obligatoire. Dans cet endroit, chacun évoluait à son rythme, suivait son propre chemin, mais moi, j’avais l’impression d’être cloué sur place. Je n’aime pas trop me remémorer la maison de retraite, car j’ai l’impression d’y avoir perdu une partie de ma vie. Les personnes âgées et le jeune homme que j’étais y vivaient hors du temps, en marge du monde extérieur. Les mots « house » et « loss » réunis dans le titre évoquent une maison où les gens sont obligés de passer la fin de leur vie, une maison où le temps s’est arrêté.
Qu’aviez-vous envie de dire en racontant l’histoire de ces personnes ? Quelle est la part d’autobiographie ?
Je me suis inspiré de mon expérience personnelle. Jamais je n’aurais pensé faire un film d’animation basé sur ces souvenirs enfouis, mais dix ans plus tard, à la trentaine passée, avec une meilleure connaissance des dissonances sociales et politiques causées par le conflit des générations, j’ai eu soudain l’envie de me replonger dans le passé. Ce qui est intéressant, c’est qu’en plus du thème principal du film, à savoir les personnes âgées, c’est aussi moi-même à l’âge de 20 ans que j’avais envie de retrouver. Comme tout le monde à cet âge-là, j’étais égocentrique, je pensais froidement que les vieux de la maison de retraite étaient des paumés à qui je n’avais pas envie de ressembler. Je me voyais d’ailleurs moi-même comme un paumé, en me comparant à mes amis qui avaient réussi. Donc les vieux, je ne les voyais pas. Quand j’y repense, ma seule « passion », c’était de passer à autre chose. Je ne connaissais pas, à l’époque, la « tolérance » envers les autres.
Pouvez-vous nous parler de votre technique d’animation et du choix de la musique pour illustrer cette histoire ?
Certaines images étaient restées très nettes dans ma mémoire. Par exemple, le regard vide des personnes âgées, les mains tordues. Pour exprimer cela, je voulais utiliser des lignes très nettes plutôt que des couleurs, et pour moi, le tracé des lignes est primordial dans l’art. On utilise la couleur pour montrer la lumière, l’ambiance, j’ai donc limité la palette de couleurs et attribué une couleur précise à chaque symbole. Le bleu, le jaune et le blanc illustrent les différentes zones temporelles dans lesquelles évoluent les personnages du film. Les couleurs sont présentes en général, mais certaines scènes sont développées presque uniquement par des traits. Je trouve que lorsqu’on crée une impression de volume en ajoutant de la couleur, on obtient une crédibilité cinématographique proche de la prise de vue réelle, contrairement à une scène entièrement créée au trait. À l’inverse, une scène dessinée au trait peut donner l’impression qu’on est dans un tableau. C’était une façon de montrer que le film est issu de ma mémoire, et que l’acte de le dessiner est pour moi une façon d’arriver à le comprendre.
Quelles histoires, quels sujets avez-vous envie d’aborder en tant que cinéaste ? Pensez-vous continuer dans l’animation ou explorer d’autres médias ?
J’aime aborder le visible et l’invisible, et le thème du temps qui passe. Il est particulièrement intéressant d’observer des images contradictoires se mêler les unes aux autres dans un travail vidéo. Le cadre est important en animation, ce qui permet de compresser facilement plusieurs images en une seule. Non, je n’ai pas l’intention d’explorer d’autres médias pour le moment.
Quel est votre court métrage de référence ?
Je citerai les films qui ont inspiré The House of Loss. Premièrement, Death and the Mother (1997) de Ruth Lingford. Ce film est souvent cité dans les débats sur les technologies de l’animation, car il exprime très bien la froideur. J’ai choisi le bleu pour exprimer cette froideur, mais au début, je voulais faire un peu comme dans ce film – sans aucune couleur du tout, il arrive à faire ressentir visuellement cette froideur. J’ai aussi aimé la coexistence conflictuelle dans cette histoire entre la chaleur maternelle et un monde froid dénué de vitalité. Le deuxième film, c’est L’Homme qui plantait des arbres (1997) de Frédéric Back. J’ai été enchanté par ce film, qui parle de la sublimité humaine par opposition à la désolation du monde. L’histoire est racontée à travers le récit d’un homme qui plante des arbres. Cette narration m’a inspiré et j’ai dès le début tenté de reprendre un format similaire.
Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?
On dit qu’une œuvre d’art n’est achevée que lorsqu’elle rencontre son public. Quand je produis une œuvre, je ne suis pas sûr qu’elle fasse passer convenablement le message, je ne sais pas quand elle est véritablement achevée. Mais quand je participe à un festival et que je vois les regards, les réactions du public, j’ai enfin le sentiment que mon travail est accompli. Et je peux évaluer mon œuvre avec objectivité en présence d’autres œuvres achevées, c’est une façon de se remettre de la solitude éprouvée lors de la création. Cela fait naître en vous la volonté de se lancer dans le projet suivant. En cela, s’il n’y avait pas eu le festival, mon premier film Material Girl (2015) aurait bien pu être ma dernière création.
Pour voir The House of Loss (Maison de retrait), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I4.