Breakfast avec Kollegen (Les collègues)
Entretien avec Jannis Alexander Kiefer, réalisateur de Kollegen (Les collègues)
Qu’est-ce qui vous intéressait dans cette relation entre des menuisiers et une équipe de tournage ?
Les menuisiers sont représentatifs des gens du village où se passe notre film. Une femme et un homme, plus âgé, qui vivent dans cette région depuis leur naissance et tentent de vivre de leur artisanat. Leur approche du cinéma est différente de la mienne en tant que cinéaste. Ils n’ont pas de point de vue intellectuel sur la réalisation d’un film, ils sont plus pragmatiques. C’est un contraste qui me fascine et qui me permet d’avoir un autre regard sur le cinéma. Trop souvent, les cinéastes évoluent dans un cercle de gens qui partagent leurs prétentions artistiques. Les menuisiers sont, en revanche, les spectateurs qui verront le film à la télé quand il sera fini. Je me suis dit qu’il était grand temps que ces deux groupes se rencontrent.
Pourquoi avoir décidé qu’il s’agirait d’un tournage qui se passe, je présume, dans un camp de concentration ?
L’histoire se passe près d’un village où l’on tourne un film historique depuis un certain temps. Au départ, je me suis demandé ce qui se passe parmi les habitants d’un village où se tourne un énième film sur les Nazis. On fait beaucoup de films dans la région de Berlin, ainsi que de nombreuses productions internationales, avec le célèbre studio Babelsberg. Je me suis posé la question suivante : le fait d’aborder histoire de l’Allemagne change-t-il la donne, ou ce type de film sera-t-il vu comme un « produit » ou un projet commercial comme un autre, qui ne prête pas à la discussion ?
C’est un film drôle, très pince-sans-rire. C’est un ton que vous appréciez particulièrement ?
Oui, absolument. Cela dit, mon dernier film, sur les rencontres en ligne en ces temps de Coronavirus, est plutôt une franche comédie. Mais pour Kollegen, je tenais à raconter une tranche de vie de nos deux personnages principaux, et je voulais que l’humour ne les concerne pas, qu’il n’atteigne que le spectateur. Aujourd’hui, si j’aborde l’histoire de l’Allemagne et l’Holocauste, je n’ai pas le droit d’en rire. Il y a beaucoup d’institutions juives qui sont victimes de dégradations en ce moment. Avec ce court métrage, nous voulions rappeler qu’il est important de ne pas oublier l’histoire et de l’aborder chacun à sa façon.
Pouvez-vous nous expliquer le choix du titre ?
Le titre anglais, Good German Work (« Du bon boulot allemand »), est une citation du film. En général, je n’aime pas trop les films qui se citent eux-mêmes. Ici, ça décrit assez bien ce que nos personnages ont envie de montrer à leurs hôtes étrangers : faire du bon travail et en être fier. En Allemagne, on dit qu’il faut proposer le « savoir-faire allemand ». Mais dans le contexte historique, cet adage peut être vu sous un jour bien différent, et terrifiant.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Je me pose souvent la question. J’adore le court métrage, et mon dernier film m’a encore rappelé pourquoi : en très peu de temps, nous avons réalisé un film sur le confinement qui est amplement diffusé actuellement et marche à fond. D’une manière générale, le format court fonctionne mieux que le long pour parler d’actualité, et la liberté créative qu’il permet est énorme. J’espère très fort que le court métrage va progressivement réinvestir les salles obscures, surtout en première partie d’un long. Car sans visibilité, le court métrage demeure malheureusement un produit de niche, ce qui ne fait pas honneur à ce format, à mon avis.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
À part les courts métrages ? Allez marcher ! Seul, et sans Smartphone. Rien de tel pour susciter la créativité et se retrouver avec soi-même. Sans distraction, sans interférence.
Pour voir Kollegen (Les collègues), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I1.