Dîner avec Push This Button If You Begin to Panic (En cas de panique appuyez sur ce bouton)
Entretien avec Gabriel Böhmer, réalisateur de Push This Button If You Begin to Panic (En cas de panique appuyez sur ce bouton)
Quelles techniques avez-vous utilisées pour créer et animer ces superpositions de papier ?
Le film est principalement basé sur une technique de découpe. Les personnages, ainsi que les décors, sont tout simplement de petits morceaux de papier découpés à la main. Le film tourne autour d’une IRM qui est un examen médical effectué dans un appareil dont l’intérieur est entièrement blanc et qui scanne le corps en une multitude de couches. C’est la raison pour laquelle le film est raconté sous la forme de différentes couches et en blanc sur blanc. Le papier utilisé dans le film a été fabriqué à partir d’un tissu de coton recyclé. C’était très important pour moi en raison d’une réplique du film qui dit : « l’étoffe des choses s’effiloche assez joliment ». Et c’est la raison pour laquelle l’univers de notre protagoniste ne cesse de s’effilocher, de se déliter. Tous les éléments du film ont deux manières de se déplacer. Soit comme une marionnette, auquel cas il nous a suffi de déplacer la découpe de papier. Soit en remplaçant carrément la découpe, lorsque nous voulions passer en trois dimensions. Prenons l’exemple tout simple d’une personne s’éloignant de la caméra : au lieu de déplacer le même bout de papier, chaque image utilise une nouvelle découpe. Les thèmes du questionnement des points de vue et du changement de perspectives étaient importants, c’est pourquoi je ne voulais pas rester coincé dans deux dimensions. Ce que vous voyez est en grande partie ce que j’ai filmé. Il y a un peu de compositing numérique. Cela m’a permis de déplacer plusieurs éléments d’une scène à des moments différents. Quand il s’agit de manipuler des petits morceaux de papier, ça devient vite un peu fouillis. Mais, même en ce qui concerne le traitement numérique, je continuais à travailler image par image.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé à la relation au corps ? Et au cerveau ?
J’ai déjà dû passer une IRM, c’est pourquoi c’est l’élément central du film. Avant de me mettre dans la machine, un technicien m’a donné une télécommande et m’a dit : « en cas de panique appuyez sur ce bouton ». C’était la plus belle phrase que j’avais jamais entendu. C’est de là qu’est née l’idée du film. C’est en méditant sur ce qui était en train de se passer que j’ai commencé à m’intéresser au corps et à sa déconstruction. À ce qui se passe quand un organe est en conflit avec le reste de votre corps. Et au délitement de l’identité lorsque vous ne vous voyez plus comme un individu, mais plutôt comme une collection de parties du corps. L’une de mes premières idées était que l’action du film se déroule à l’intérieur d’une tête. Comme une sorte de pièce de théâtre avec la forme d’un récit. Cela reflétait mon intérêt pour le cerveau. Après tout, c’est là que toutes les histoires se jouent. Dans la mémoire, réelles ou non. Même dans l’instant. Même en cet instant ! Quel est le degré de fiabilité de ceux qui racontent les histoires ? Sont-ils lucides ? Qu’advient-il s’ils ne parviennent pas à expliquer ce qui se passe ? Ni même à se l’expliquer à eux-mêmes ?
Comment avez-vous travaillé sur le rythme et les dialogues ?
Lorsque je travaillais sur le script, je me suis intéressé à la poésie. Dans une des versions, les personnages parlaient exclusivement en rimes. Le protagoniste essaie de voir la beauté autour de lui, c’est pourquoi, dans son récit, sa journée avait un aspect littéralement poétique. Cette idée a été largement abandonnée, mais je pense qu’elle persiste d’une certaine manière dans l’utilisation de l’espace. Laisser une phrase, ou une image, résonner et prendre son temps à certains moments ; et la forcer à passer rapidement à d’autres. Cela imite en quelque sorte l’étrange dilatation temporelle que l’on éprouve lorsque l’on passe des tests médicaux et que l’on attend ensuite les résultats. Avec ce film, j’ai aussi été véritablement à l’écoute du rythme de mon corps. Mon rythme interne est lent. Il y a des moments de vitesse frénétique, mais mon dialogue intérieur chemine plutôt paresseusement. Je pense lentement. Je parle lentement.
Quel sentiment vous inspirent les environnements médicaux : attraction ou dégout ?
Les aiguilles, les bips, être dérangé de manières nouvelles et inhabituelles – tout ça se trouve tout en bas de ma liste de passe-temps préférés ! Mais à côté de l’agitation et de la tension, certaines choses sont curieusement belles. La quiétude que vous pouvez trouver dans certains recoins. La sensation minimaliste, proche de la claustration, de certains de ces espaces. Et puis, la quiétude que vous pouvez trouver en vous-même. Ce sont des endroits étranges. Et que nous sommes tous amenés à visiter un jour ou l’autre.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
J’espère que le passage en ligne de beaucoup de festivals va éveiller un nouvel intérêt pour le film court. Je pense que le format festival est la meilleure façon d’apprécier le court métrage. Visionner une sélection préparée dans le cadre d’un festival est une expérience qui n’a rien à voir avec le fait de regarder quelque chose sur une plateforme de streaming. Cela peut provoquer l’émerveillement, et informer, d’une manière vraiment spéciale. Vous pouvez voir le même film et pourtant avoir une expérience complètement différente en raison du processus de sélection. Personnellement, je tire beaucoup plus de l’expérience d’un festival, même quand ce festival est en ligne. Peut-être sommes-nous plus réceptifs lorsque nous savons que quelqu’un a soigneusement conçu le programme ? Et puis, il n’y a pas de distractions dans l’obscurité du cinéma, et un festival en ligne est l’option la plus approchante de cet idéal. Alors, croisons les doigts pour que cela constitue une occasion d’exposer encore plus de personnes à tout cela.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Les festivals de cinéma, bien sûr ! Ils vous offrent une perspective inédite, et parfois venue de l’autre côté du globe, directement dans votre salon. C’est aussi le bon moment pour mettre de côté vos appareils connectés et démarrer une collection de vinyles. Écoutez le face A. Puis la face B. Sans véritable possibilité de zapper d’un titre à un autre. Ça s’apparente un peu à l’absence de distractions dans les festivals. C’est une expérience complètement différente. Asseyez-vous et écoutez. Et le temps passera plus vite, parce que tout est plus lent. Ou quelque chose comme ça. Les sites Web des musées peuvent également être géniaux. Le site du Tate propose toute une collection d’articles sur divers artistes. Il y a souvent des discussions intéressantes sur des œuvres d’art en particulier. C’est un excellent moyen de revoir vos œuvres favorites et de découvrir des nouveautés.
Pour voir Push This Button If You Begin to Panic (En cas de panique appuyez sur ce bouton), rendez-vous aux séances L5 de la compétition labo.