Breakfast avec Clean
Entretien avec Miranda Stern, réalisatrice de Clean
C’est une œuvre très directe. Quel en est le contexte, et qu’est-ce qui vous a poussée à raconter cette histoire ?
Des recherches scientifiques des années 1970 sur l’auto-administration de morphine par les animaux ont montré que si l’on proposait aux rats deux bouteilles, l’une remplie d’eau et l’autre d’héroïne, les rats buvaient systématiquement dans celle contenant de la drogue, jusqu’à la mort par overdose. Pour chacun d’eux. À travers une autre expérience, généralement oubliée ou dédaignée, le psychologue canadien Bruce K. Alexander a émis l’hypothèse selon laquelle cette réaction serait due à l’environnement et aux conditions de conservation des rats. À l’opposé des petites cages métalliques solitaires de l’expérience précédente, il construisit avec ses collègues le « Rat Park », une vaste colonie résidentielle d’une surface deux cent fois plus grande que celle d’une cage de laboratoire classique. Les rats étaient libres de déambuler, de jouer, de socialiser, ils avaient de quoi être stimulés mentalement, la possibilité de s’accoupler et de donner naissance… et on leur proposa pareillement l’accès aux deux bouteilles. Il n’y eut pas une seule overdose pour ces rats. Néanmoins, on ne peut pas construire en labo l’équivalent du « Rat Park » pour les humains. Contrairement aux idées préconçues de beaucoup, le rétablissement d’un toxicomane nécessite beaucoup de temps, de travail, d’énergie, et ça vaut aussi pour ses proches. Il n’y a pas de baguette magique, ni de remède miracle, pour ça. Et pas de garanties. Mais je crois vraiment qu’on ne peut pas le faire tout seul. Probablement que ce qui m’a déterminée à faire ce récit, c’est l’idée selon laquelle le contraire de l’addiction, ce n’est pas juste être clean, d’être sobre, mais bien plutôt d’être en lien avec les autres. Un lien humain authentique, qui ait du sens. Et encore, ça ne suffit pas toujours.
Le tournage s’est-il déroulé sans heurts ? Avez-vous dû mettre de côté certaines choses, ou avez-vous eu du mal à les filmer ?
Beaucoup de films racontent la descente aux enfers de l’addiction, mais il n’y en a pas autant sur le thème audacieux, profondément intime et mal connu de la désintoxication. Mais j’ai sous-évalué la difficulté que j’aurais à tourner ce film. On a beaucoup débattu pour savoir s’il fallait garder tout ce que j’ai tourné, au risque de causer préjudice à moi ou mon compagnon, mais à la fin j’ai décidé que puisque c’était ce qu’il se passait, ça devait être dans le film. Je dois dire que j’ai mis de côté certaines des scènes de manque les plus spectaculaires. Je voulais rendre compte de tout de la manière la plus honnête possible, mais le sevrage physique du Subutex (le substitut synthétique à l’héroïne) ne paraissait pas essentiel au propos. La guérison ne peut pas se réduire au sevrage brut. Ainsi la quête de la normalité et de la stabilité devient le thème central, tandis qu’arrêter le Subutex n’en est que le résultat. Voir à quel point j’ai pu briser la confiance de mon partenaire est ce qui m’a été le plus difficile. Aussi, voir ces moments où je touche le fond me revenir à la figure ne fait que les rendre plus douloureux, d’une certaine façon. Je n’ai pas arrêté de lui demander s’il était d’accord pour continuer et il répondait toujours que si ça pouvait aider quelqu’un à éviter de traverser ce que nous avons vécu, ça valait mille fois la peine.
À quelles réactions avez-vous eu affaire depuis les premières projections ? Certaines vous ont-elles particulièrement marquée ?
L’héroïne demeure un tabou. Qui plus est, aborder la maternité en tant que toxicomane en voie de guérison, c’est, non seulement être stigmatisée, mais c’est aussi s’aventurer dans quelque chose de très complexe sur le plan médical, comme sur celui de l’éthique ou de la psychologie. Les retours ont été, en général, incommensurablement positifs. Je me rends compte que les gens sont curieux et qu’ils ont souvent beaucoup de questions à poser sur l’ensemble du processus.
Quel est votre parcours en tant que cinéaste ?
Depuis que j’ai fini Clean, je me suis inscrite en master en réalisation à la National Film and Television School, je fais donc les choses un peu à l’envers. Avant cela, je vais faire des films de sensibilisation pour des organisations caritatives et des ONG, et également travailler pour la radio.
Quel genre de nouvelles histoires avez-vous envie de raconter ? Est-ce que vous vous intéressez aussi à la fiction ?
Je suis justement en train de faire mon premier film de fiction, à travers le programme Sharp Shorts du British Film Institute. J’ai beaucoup d’intérêt pour la frontière entre le réel et l’imaginaire – c’est vraiment le bon moment pour un cinéma hybride.
Quel est votre court métrage de référence ?
In the Dark de Sergei Dvortsevoy est un de mes préférés, autant pour ce qu’il montre que pour ce qu’il laisse deviner. C’est un vieil homme et son chat, et le tout constitue une tragédie sisyphienne. Ce film n’a rien de trop démonstratif et se soucie peu d’être « à-propos » mais parvient plutôt à en dire tellement sans utiliser de mots pour véhiculer sa signification. J’adore les courts d’Apichatpong Weerasethakul, de Peter Greenaway, de Philip Hoffman, tout comme les œuvres avant-gardistes de Peter Kubelka et Morgan Fisher qui explorent et jouent sur toutes les permutations entre le son et l’image, le silence et l’absence.
Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?
C’est le Cannes du court, c’est donc évidemment pour moi un honneur. D’autant plus, je crois, du fait que ce soit un film aussi personnel, et un thème cher à mon cœur. Bénéficier d’une telle plateforme rend donc vraiment humble.
Pour voir Clean, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I2.