Dernier verre avec Nurture (Nourrir)
Entretien avec Sasha Argirov, réalisateur de Nurture (Nourrir)
Pourquoi avoir choisi ce titre ?
Nurture m’est venu à l’esprit un jour pendant la rédaction d’une ébauche du scénario. D’après moi, ce titre résume toute l’histoire, mais il apporte aussi un contrepoint ironique parfait au premier plan du court métrage.
Que cherchiez-vous à explorer dans la relation entre la mère et le fils ? Et dans la silhouette maternelle…
C’est un film sur la codépendance parentale : quand un enfant est contraint de jouer le rôle d’un parent ou d’un conjoint auprès de la personne censée prendre soin de lui. Comme on peut le voir dans le court métrage, cela donne naissance à un fort ressentiment, qui grandit au fil des années. Mais ce n’est jamais aussi simple que cela. Avec la codépendance, il y a toujours une tension complexe, qui mêle colère et lien affectif. Sans pour autant en dire trop, cette silhouette est la représentation littérale de ce conflit interne et me permet d’explorer les thématiques du film par le biais du surréalisme.
Pouvez-vous nous parler de vos choix cinématographiques ? Notamment le choix du noir et blanc, des angles rapprochés et de l’ambiance un peu surréaliste et onirique.
Avec Peter Hadfield, mon directeur de la photographie, nous avons décidé d’adopter une approche visuelle unique, à mi-chemin entre Roy Andersson et Bela Tarr. Nous voulions que le film ressemble à un rêve, dans lequel le subconscient devient littéral. En dehors de l’atmosphère et des textures en noir et blanc, il y a un effet de distanciation qui permet aux spectateurs d’appréhender le film à un niveau différent. Ça ne reflète pas la réalité, c’est vraiment intensifié. Les choix de composition assez inhabituels renforcent cet effet.
Comment avez-vous collaboré avec les acteurs ? Comment s’est déroulé le casting ?
J’avais déjà travaillé avec Dimitri Vantis (qui joue le fils) pour un précédent court métrage. C’est un acteur brillant et un ami. J’étais convaincu qu’il allait interpréter ce rôle à la perfection. La mère et la silhouette sont incarnées de manière interchangeable par les célèbres jumelles Jacqueline et Joyce Robbins. Ces acteurs talentueux et intelligents ont rendu la direction assez simple : ils savaient parfaitement le résultat que l’on cherchait à obtenir. Tout mon travail s’est fait en préproduction, quand je leur ai expliqué ma vision, et l’univers unique de ce film. Une fois qu’ils ont compris ce qu’on attendait d’eux, il n’y avait plus grand-chose à ajouter. Ils ont simplement donné vie à ces personnages.
Quels films vous ont inspiré dans votre travail et de manière générale ?
Michael Haneke et Stanley Kubrick sont les réalisateurs à l’origine de mon amour pour la réalisation : Barry Lyndon et Le pianiste comptent parmi mes films préférés. En ce qui concerne les sources d’inspiration directes de mon travail, c’est plus compliqué. J’aime regarder des films de genres très variés, et je note dans un coin toutes les techniques et idées qu’ils m’évoquent. Ensuite, quand je réalise un film, toutes les influences mises de côté guident mon approche, selon le genre d’histoire que je souhaite raconter.
À quelles thématiques aimeriez-vous vous atteler par la suite ?
Je travaille actuellement sur une adaptation assez libre de Nurture en long métrage, avec l’aide de Phillip Thomas, mon producteur et coscénariste de génie. Le titre de travail est Disgrace. Nous explorons les mêmes thématiques que dans Nurture, mais en allant beaucoup plus loin et en nous concentrant davantage sur la culpabilité parentale.
Quel est votre court métrage de référence ?
C’est une question très complexe. Je ne pourrai pas dire quel est mon court métrage préféré de tous les temps, mais j’ai vu Safe de Ian Barling (sélectionné au Festival de Clermont-Ferrand en 2022) il y a peu, et j’ai beaucoup aimé ! Tout était excellent, du montage aux performances nuancées, en passant par le scénario. J’ai hâte de voir sa prochaine réalisation, mais, en ce qui me concerne, Safe est déjà une immense réussite.
Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?
C’est la destination idéale pour une première européenne. C’est un immense privilège d’être sélectionné à Clermont-Ferrand, qui est reconnu comme étant le festival de courts métrages le plus prestigieux au monde. Pour moi, Clermont-Ferrand considère les courts métrages comme des œuvres artistiques à part entière, et non comme des tremplins vers quelque chose de « plus important ». J’ai hâte de participer à cette édition.
Pour voir Nurture (Nourrir), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I14.