Lunch avec Paradiso, XXXI, 108
Entretien avec Kamal Aljafari, réalisateur de Paradiso, XXXI, 108
Où et quand se déroule Paradiso, XXXI, 108 ?
Paradiso, XXXI, 108 se déroule dans le désert du Néguev, dans le sud de la Palestine.
Comment avez-vous mis la main sur les films militaires ? Les avez-vous remontés ?
Il s’agit de films de propagande commandés par l’armée israélienne et destinés à la formation des soldats pour montrer que c’est très amusant d’intégrer l’armée et que ça permet d’apprendre tout un tas de choses. Tout le concept de mon film repose sur le montage : cela m’a permis de subvertir le médium en modifiant l’ordre des scènes et des opérations, en usant et abusant de la répétition des activités mécaniques afin de remettre en question des jeux armés et de les faire apparaître comme dépourvus de sens. Mais j’ai conservé le montage original pour certaines scènes, car il servait l’idée du film. La narration en hébreu est également tirée des films d’origine, et bien qu’il s’agisse d’une fiction, le document témoigne d’un certain état d’esprit.
Qu’aviez-vous en tête au moment de l’enregistrement de la bande originale du film ?
En premier lieu, je me suis intéressé à l’aspect mécanique des êtres humains, et plus particulièrement à celui de l’armée, vue comme un appareil de destruction. Le son retranscrit cette sensation et fait monter la tension, par exemple avec la « Danse macabre », qui, comme son nom l’indique, est une musique qui parle de la nature humaine et en est un reflet. En un sens, c’est ce que l’on voit. J’ai utilisé la « Sarabande » d’Haendel pour insuffler une touche de mélancolie vis-à-vis de tout ce qui va de travers pour l’humanité, qui paie toujours le prix fort en cas de guerre, mais crée aussi des systèmes qui permettent de tout détruire. Et bien que ce film ne montre qu’un cas particulier, dans une région donnée, je le vois comme une réflexion à plus grande échelle sur l’humanité et ses échecs. Pour certaines scènes du film, j’ai utilisé des morceaux de Soliman Gamil (« Pharaoh Funeral Process » et « Isis Looks for Osiris »), qui en un sens, sont la bande originale de ce paysage. Le son de la flûte qui revient, et revient encore, ressemble au vent. C’est comme si ce paysage nous disait « Vous ne pouvez pas me battre ». Cette région de la Palestine a été très marquée par les nombreuses bases militaires qui y ont été construites pour les manœuvres, mais aussi par les colonies établies, et cela a modifié sa nature. Partout dans le monde, les déserts ont été le théâtre d’exercices, notamment pour tester les bombes. Cela a fini par détruire le paysage. Dans ces films, on ne voit jamais les hommes : l’ennemi est toujours caché dans le relief ou au milieu des ruines, mais on ne le voit jamais. Cela n’empêche pas les soldats de continuer les bombardements, de se déplacer et de repartir à l’attaque encore et encore. Le fait que l’ennemi soit invisible est aussi symbolique : dans différents aspects de leur vie, les Palestiniens sont perçus comme non existants et temporaires. Pourtant, l’État est supposé les rechercher, comme l’indiquent ces documents qui corroborent cette idéologie. Ils sont là, sans être là. Ils ne sont pas reconnus comme des êtres humains, et l’armée continue pourtant de se battre contre eux. C’est une attitude assez contradictoire et vouée à l’échec.
Paradiso, XXXI, 108 aura-t-il une suite ? Avez-vous d’autres projets autour de cette thématique ?
Ce court métrage est né après A Fidai Film, un autre projet dont le montage est toujours en cours, et en un sens, ce que l’on voit dans Paradiso, XXXI, 108 n’est qu’un des aspects de mon travail de « sabotage » d’archives. A Fidai Film aborde le pillage, toujours en cours, des archives, d’une culture et d’un pays entier. Ce film montre tout ça. En travaillant avec des archives, je peux étudier les images et trouver un motif. Dans A Fidai Film plusieurs séquences montrent des manœuvres militaires à différentes époques, où, pour s’entraîner, les soldats attaquent des ruines, vidées de leurs habitants. Il a quelque chose de très étrange dans le fait d’utiliser de vieux bâtiments : c’est en quelque sorte un symbole de toute l’histoire de la Palestine, et pas seulement de notre époque actuelle.
Quel est votre court métrage de référence ?
Je dirais Hommage par assassinat d’Elia Suleiman (1992). D’après moi, c’est l’un des meilleurs courts métrages de tous les temps. Et il s’agit du premier film qu’il a réalisé à New York.
Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?
J’ai toujours entendu parler de ce festival, et je suis très heureux que mon film y soit présenté. J’apprécie énormément le fait que le festival de Clermont-Ferrand se concentre sur les courts métrages et les soutienne, car d’après moi, c’est le format idéal pour proposer des idées expérimentales. Si leur durée les rend plus difficiles à produire et à accompagner, elle leur donne aussi la liberté d’être indépendants.
Pour voir Paradiso, XXXI, 108, rendez-vous aux séances de la compétition labo L2.