Breakfast avec Aban
Entretien avec Abbas Taheri et Mahdieh Toosi, coréalisateurs d’Aban
D’où vous est venue l’idée du personnage d’Aban ?
Abbas :
Dans une famille patriarcale, mon cousin a dû lutter pour obtenir l’opération chirurgicale lui permettant de se réaliser. Le caprice de l’enfant de quatre ans, se faire appeler par un nom d’homme au lieu de son prénom féminin, s’est vite transformé en trouble de l’identité de genre, et son parcours courageux m’a donné l’envie de travailler sur cette idée. Le domaine de l’enfance constituait le meilleur choix pour raconter cette histoire pour deux raisons : d’abord, j’en avais une compréhension directe à travers l’enfance de mon cousin, et aussi parce que chez l’enfant, le désir d’être reconnu dans son genre réel est pur, et le rejet des autres produira la plus grande amertume.
Mahdieh :
La circoncision tient de la croyance religieuse en Iran, et tous les garçons doivent être circoncis avant l’âge de quinze ans. Certains parents emmènent leur enfant se faire circoncire dès sa naissance, d’autres plus tard. Je me suis mis à réfléchir sur la situation d’Aban en tant que trans, et sur le type de défis auxquels il serait confronté au cours des étapes de sa circoncision.
Qu’avez-vous voulu montrer à travers le personnage de la mère d’Aban, contrainte d’obéir à son ex-mari alors qu’elle a conscience du mal que cela va faire à son fils ?
Abbas :
La mère d’Aban représente la pression du système patriarcal sur les femmes d’Iran. Elle doit obéir à son ex-mari pour pouvoir continuer à soutenir Aban. D’un autre côté elle est comme tous les Iraniens, obligée de choisir entre deux maux, le moindre. Si elle se rebelle contre lui, il a la garde d’Aban et pourrait la lui enlever ; si elle lui obéit, l’enfant sera quand même exposé à la souffrance, car son père la fera bien sûr circoncire après l’avoir arrachée à sa mère.
Mahdieh :
En tant que femme divorcée iranienne, la maman d’Aban doit sauver sa propre vie et celle de son fils en ménageant le père d’Aban. Il lui faut satisfaire aux souhaits de son ex-mari pour pouvoir garder l’enfant. Du côté de la mère, il n’est pas question de laisser vivre son fils chez un père qui tuera ses rêves d’accès à la féminité, et ce n’est pas non plus du goût d’Aban. En fait, il s’agit pour elle de vivre dans cette société patriarcale dénoncée par des milliers de courageuses personnes.
Comment se sont déroulées la sélection et la direction de l’acteur de 9 ans qui joue le rôle d’Aban ?
Abbas :
C’était dur mais touchant. Nous avions beaucoup de candidats et à la fin des auditions nous avons choisi Ali pour incarner Aban, mais l’essentiel du travail ne faisait que commencer. Lorsqu’on lui a parlé d’Aban et de son histoire, il a d’abord refusé de jouer le rôle. Il avait peur des moqueries de ses copains et de ses camarades de classe à l’école. Nous lui avons parlé, entre autres, des grands acteurs qui avaient joué des rôles féminins, et nous avons réussi à le convaincre d’essayer le rôle. Jour après jour il s’est senti de plus en plus à l’aise avec le personnage et il s’est trouvé pleinement bien dans la peau d’Aban. La difficulté suivante a été de gérer le planning et les équipes de tournage de façon à ce que rien ne puisse causer d’inconfort à Ali dans son rôle. Notre co-producteur iranien, Pouria Mousavi, a fait de son mieux pour gérer acteurs et techniciens, et cette étape s’est passée sans le moindre souci. Enfin, je dois ajouter que le plus important dans tout cela a été la gentillesse et la bonne volonté dont ont fait preuve Ali et sa famille.
Mahdieh :
C’était tout aussi éprouvant que fascinant. L’acteur jouant Aban n’aimait pas le rôle, mais grâce à la participation de sa mère, à notre aide, à son propre travail dans les répétitions que nous avons mises en place pour lui, il a pu, peu à peu, changer d’avis et jouer comme nous l’espérions.
En quoi considérez-vous important d’aborder ces thèmes dans le cinéma aujourd’hui ?
Abbas :
Il y a deux éléments importants qui m’ont motivé à traiter de cette situation : d’une part il y a beaucoup de problèmes dans nos lois et nos cultures traditionnelles vis-à-vis de la communauté LGBTQ et je considérais qu’il fallait faire quelque chose pour mettre à jour leur souffrance et leur détresse ; le second élément, c’est la place des femmes en Iran. Elles souffrent de discrimination de genre dans différents domaines, depuis la famille et les relations amoureuses, jusqu’à l’école et au bureau – bref, dans l’ensemble de la vie sociale, et c’est pourquoi, dans les manifestations en Iran, un de nos slogans récents et toujours d’actualité, c’est : « Femme, vie, liberté ».
Mahdieh :
Les personnes trans vivent parmi nous, et les montrer au sein des familles et de la société encourage les gens à les respecter. Elles ont le droit de vivre sans crainte, sans limitation. Elles devraient être acceptées par leurs proches et soutenues dans l’accomplissement de leurs rêves, de leurs buts ; elles doivent pouvoir vivre leur vie pleinement.
Quel est votre court métrage de référence ?
Abbas :
Semele de Myrsini Aristidou, For Nonna Anna de Luis De Filippis, Miller & Son d’Asher Jelinsky , Little Grey Bubbles de Charles Wahl.
Mahdieh :
The Silent Child de Chris Overton.
Qu’est-ce que le festival représente pour vous ?
Abbas :
Le festival est très proactif pour faire se rencontrer des réalisateurs et des films avec le monde du cinéma, ce qui en fait un des festivals les plus adaptés aux cinéastes. Par ailleurs, je suis heureux de faire partie de la compétition nationale, car on n’aurait pas pu produire ce film sans notre coproducteur français : c’est important à mes yeux, et aussi à ceux de notre endurant coproducteur iranien, Pouria Mousavi.
Mahdieh :
Ce festival a une importance majeure pour moi, car il me permet de présenter le film au monde entier et de faire la connaissance d’autres réalisateurs. Il peut aussi ouvrir la voie pour mes films à venir. En tant qu’Iranien, il est très important pour moi de parler de mon pays aux autres.
Pour voir Aban, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F7.