Goûter avec TsutsuƐ (Tsutsué)
Entretien avec Amartei Amar, réalisateur de TsutsuƐ (Tsutsué)
Comment est né TsutsuƐ ?
TsutsuƐ est né de trois histoires vraies, spirituellement liées. La première est une expérience vécue par notre producteur : un jeune garçon de son quartier a découvert un corps dans un égout à ciel ouvert. Alors qu’il allait prévenir les autres, un énorme orage a éclaté. Le temps qu’il amène les autres à l’endroit où il avait vu le corps, ce dernier avait disparu. Personne ne l’a cru, et on a dit de lui qu’il était fou. Ce n’est qu’environ trois jours plus tard, lorsque le corps a été découvert dans l’océan, là où les égouts se jettent dans la mer, qu’on l’a enfin cru. L’autre histoire s’est déroulée dans ma famille. Il y a quelques années, le frère aîné de mon père est mort. Il a laissé neuf enfants derrière lui, tous déjà grands sauf le dernier qui se trouve être le seul garçon. Son père est mort et a été enterré au Royaume-Uni alors que lui était au pensionnat, ici, au Ghana. Comme mon cousin n’a pas assisté à l’enterrement, lorsqu’on lui a appris la mort de son père, il n’a pas pu l’intégrer émotionnellement. Résultat, il ne cessait de voir son père, dans la rue, ou sur le visage d’autres hommes. J’ai été durablement marqué par le lien spirituel qu’il entretenait avec son père mort et les conséquences que cela a eues sur sa santé mentale pendant ses années de construction. La troisième histoire vraie est liée à un documentaire que nous avons tourné sur l’industrie de la pêche au Ghana, où les pêcheurs retiennent 70 pour cent d’ordures dans leurs filets. À cause de cela, ils doivent aller pêcher plus loin dans l’océan, leurs conditions de pêche sont plus difficiles, et ils mettent leur vie en danger. Ce qui est effrayant pour eux, car dans la culture ghanéenne, périr en mer signifie que l’esprit sera condamné à errer autour de la terre, à chercher en vain sa maison.
Les scènes tournées dans la décharge sont visuellement très puissantes. Comment avez-vous eu l’idée de tourner à cet endroit ?
Il était indispensable pour moi de tourner là-bas, car je voulais créer une opposition dramatique entre le pouvoir de la réalité artificielle et celui de la nature, mais aussi montrer les conséquences de leur opposition, dans le monde, sur la condition humaine et les réalités intimes qu’elle recouvre. La décharge et l’océan sont pour moi davantage frère et sœur qu’ennemis, c’était important de créer une corrélation spirituelle entre les deux, de montrer comment ces deux endroits sont tous deux des lieux à la fois de jeu et de danger, de paix et de trauma.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur Elisha Kirtson-Acquah et Idrissu Tontie Jr., qui interprètent Okai et Sowa ? Leur jeu est particulièrement impressionnant.
C’est le premier rôle d’Elisha, et il vient de la ville où nous avons tourné, donc nous sommes tous très fiers de lui. Il porte cette énergie en lui. Son jeu est physique, intrépide, mais c’est aussi quelqu’un qui pose un regard sage et paisible sur le monde. Il était important pour moi de capturer cet aspect de lui. Je suis toujours aussi stupéfait par ce qu’il fait, il n’avait que huit ans au moment du tournage, mais il évolue dans la meilleure direction possible. J’avais travaillé avec Tontie sur le court métrage Vagabonds. C’était son premier rôle à lui aussi, car à l’époque il avait dix ans. Je peux dire la même chose à son propos qu’à propos d’Elisha. J’ai hâte de montrer son talent au reste du monde. On va tourner un long métrage et il aura le rôle principal, c’est une perspective réjouissante. Ce sont tous les deux des acteurs dévoués à leur jeu, intenses, et j’ai hâte de retravailler avec eux.
Comment avez-vous tourné la scène qui se déroule de nuit, sur le rivage ? Techniquement, était-ce un défi ?
Je n’avais jamais eu affaire à une logistique aussi compliquée qu’à celle de ce plan. Mais nous savions tous à quoi nous attendre en nous lançant dans ce projet. Ce que j’aime dans le cinéma indépendant, et encore plus dans le court métrage indépendant, c’est que pour réussir à obtenir un certain effet ou un simple plan, il faut se rendre sur place, et travailler en conditions réelles. Quel que soit l’environnement, nous, cinéastes, devons affronter ce qu’affrontent les personnages. On est sur le terrain, sur les lieux mêmes, et nous devons trouver des solutions, simples ou complexes, grâce à notre ingéniosité. Honnêtement, tout ce que vous voyez à l’écran, on l’a fait de la manière la plus simple qui soit, en faisant particulièrement attention à la sécurité des acteurs et de l’équipe, et en essayant d’atteindre notre but.
Quel est votre court métrage de référence ?
C’est difficile de choisir mon court métrage préféré, car il y en a tellement qui ont compté pour moi. Un film que je considère comme un petit trésor et que j’aime regarder de temps en temps c’est Nefta Football Club d’Yves Piat.
Que représente le festival pour vous ?
Ce sera la première fois pour moi à Clermont-Ferrand, mais en tant que réalisateur, je sais que ce festival est le défenseur des courts métrages d’auteurs, qu’il soutient les films porteurs d’une voix singulière, et les cinéastes, nouveaux venus comme établis. Je suis conscient qu’il porte en son sein un amour profond pour l’art du court métrage et du rôle incroyable qu’il joue dans l’émergence et l’évolution des cinéastes.
Pour voir TsutsuƐ (Tsutsué), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I8.