Dîner avec Augas abisais (Eaux profondes)
Entretien avec Xacio Baño, réalisateur de Augas abisais (Eaux profondes)
Comment vous est venue d’idée du poisson abyssal ? Quelles étaient vos intentions, vouliez-vous utiliser la capacité d’adaptation de ce poisson pour étayer votre propos ?
Je m’efforce toujours de trouver de nouvelles formes d’expression en utilisant tous les éléments du langage cinématographique. La lumière est un des éléments les plus importants. D’un côté, j’avais l’idée de faire un film sur la lumière et l’obscurité. Voir et ne pas voir. D’un autre côté, j’ai trouvé ces vieilles lettres dans un vieux coffre chez mes grands-parents. Vous imaginez ce moment : un grenier obscur, un vieux parquet, la lanterne à la main… Je me suis dit qu’il serait parfait de travailler sur la lumière et l’obscurité pour évoquer les rouages de l’oubli. De fil en aiguille, j’ai pensé aux abysses, cette zone où la lumière du soleil ne pénètre pas, et à ces créatures. Je me suis intéressé aux eaux profondes car on sait très peu de choses dessus. Quand on ne sait pas, on peut imaginer et créer de nouveaux mondes. Comme des limbes au fond de l’eau – là où vont les âmes après la mort. Là où l’oubli est roi.
Pouvons-nous évoquer la guerre d’Espagne ? Qu’est-ce qui vous a inspiré ce thème ?
J’ai trouvé cinq lettres (entre autres documents) écrites par un parent (un arrière grand-oncle ?). Elles n’ont rien d’exceptionnel : elles racontent l’histoire d’un jeune soldat parmi tant d’autres, parti au front contre sa volonté. Mais j’adore faire des films sur ce qu’on jette au rebus. Casto Balsa, le soldat, a été jeté au rebus. On ressent sa souffrance et sa peur dans la première lettre, et sa bravoure dans la dernière. Je ne voulais pas faire un film sur la guerre d’Espagne. En fait, j’avais bien d’autres documents sur la guerre civile, et nous ne les avons pas utilisés, car pour moi, ce qui compte dans le film, c’est de mêler le thème de la guerre à celui du souvenir.
Pour vous, s’agit-il d’un film intime ? Quelle a été votre approche de ces documents personnels ?
Oui, c’est un film de famille. Les documents, l’histoire vraie, tout cela se mêle avec l’histoire que m’a racontée ma grand-mère. C’était l’histoire d’un héros ! Il y avait trop de mensonges, d’exagérations, de silences, de coïncidences dans ce qu’elle me racontait. C’était plutôt une fable, une histoire fantastique. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai décidé d’articuler mon film en deux temps : d’un côté, la fable, le fantastique, les abysses… Et de l’autre, le témoignage, le présent, les vestiges de la guerre… Le vrai poisson. Et puis il y a ma lettre, écrite aujourd’hui à ma grand-mère. Je ne sais pas si cela compte pour le spectateur, mais pour moi, la boucle est ainsi bouclée.
Dans quelle mesure votre rapport à la photographie a-t-il influencé Augas absais ?
J’ai compris qu’il y avait matière à « faire un film » lorsque je suis tombé sur une vieille photographie du soldat. C’était l’élément qui manquait au début de ma recherche. Dans chaque film, il y a des impasses. Des chemins qui guident le film dans une mauvaise direction. Mais cette photo est cruciale pour le sens du film : c’est l’image qui résume la thématique. J’adore la photographie, et je prépare un nouveau court métrage intitulé I Can’t See You, qui parle des photos dont on ne veut pas – celles qui sont floues, où un doigt obstrue l’image, où les gens ont une sale tête, ou la tête coupée, celles qui sont trop sombres ou surexposées, etc.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Je pense que les courts métrages ont plus d’avenir que les longs. Notre rapport au temps et notre capacité à nous concentrer s’étiolent. Je pense aussi qu’il faut en finir avec la structure classique en trois actes et avec les histoires héroïques. Il faut trouver de nouvelles voies qui laissent la place à l’expérimentation, la prise de risque, le défi lancé au spectateur… J’adore les festivals qui ne posent pas de limite de temps, où l’on trouve des films de 25 minutes en compétition officielle avec des longs métrages. Tout le monde y gagne : les programmateurs, le public, les films, les réalisateurs, l’art, etc.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
En ce qui me concerne, j’ai mis à profit le confinement pour regarder de très longs films, des films de plus de trois heures, et pour écouter des albums de musique en entier (avec les chansons dans l’ordre d’origine). Un des meilleurs moments, c’était de revoir 2001 : l’odyssée de l’espace. Avec le Covid dans notre vie, on a une vision un peu différente du chef-d’œuvre de Kubrick. Tous les thèmes qui se rattachent au confinement s’y retrouvent : l’humanité, la communication, la solitude…
Pour voir Augas abisais (Eaux profondes), rendez-vous aux séances de la compétition labo L2.