Breakfast avec Bruits blancs
Entretien avec Thomas Soulignac, réalisateur de Bruits blancs
Comment avez-vous eu l’envie de faire un film autour d’une séance de spiritisme ?
J’ai découvert l’existence de la Trans Communication Instrumentale (TCI) au travers d’un documentaire audio. J’ai été tout de suite séduit par l’originalité et la poésie de la démarche, qui consiste à enregistrer des sons ambiants sur un magnétophone, en espérant capter ainsi des voix de l’Au-delà. On peut trouver le procédé absurde, il n’empêche que devant un bruit blanc, aussi rationnel soit-on, on a toujours envie d’entendre quelque chose. C’est cette fascination que j’ai voulu creuser, et qui est à la base du film. Avec une question qui me faisait rire : et si les esprits disaient n’importe quoi ? En y réfléchissant, j’ai petit à petit construit mon propos : les signes ont avant tout la force qu’on décide de leur donner.
À quel point êtes-vous intéressé par la thématique du deuil et envisagez-vous de réaliser d’autres films sur ce sujet ?
Plus que le deuil, j’affectionne particulièrement les fictions que l’on se raconte pour pallier aux manques. Et j’aime observer comment ces fictions peuvent avoir un impact (bien réel, lui), dans nos vies. Je suis dans la vie très cartésien, mais j’aime me mettre en défaut : si les esprits ont un impact concret sur nos vies, c’est qu’ils existent, au moins d’un point de vue poétique (en gros, ce n’est pas parce qu’ils n’existent pas qu’ils n’existent pas pour autant).
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le fait d’intégrer une personne nouvelle au groupe constitué et pourquoi vouliez-vous qu’elle contraste avec les autres membres du groupe par son âge et ses attentes ?
Le personnage de Romain, le jeune homme qui intègre le groupe est celui qui symbolise le plus mon point de vue d’auteur. Il n’appartient pas au cercle spirite, et il ne se pose pas réellement la question de l’existence des esprits. Il est simplement là, bienveillant, à les écouter sans juger. Et étrangement, ça suffit pour que tout le monde entende ce qu’il a besoin d’entendre pour avancer. Rio Vega, le talentueux comédien, a instantanément et intimement compris la jolie naïveté du personnage. J’avais aussi envie qu’il dégage une certaine modernité, un dialogue possible entre deux générations.
Comment avez-vous travaillé le rapport entre angoisse et tendresse des personnages ?
J’ai tenté de donner à chacun des personnages du groupe un parcours, une raison qui le pousse à venir parler aux morts (mais aussi et surtout aux vivants). Et en respectant le besoin de chacun, je pouvais me permettre d’essayer les rendre drôles ou désespérés sans qu’on les juge. Évidemment, travailler avec Jean Benoît Ugeux, Anne Benoît, Tassadit Mandi et Patrick Ligardes a rendu la tâche plus simple. Tous réussissent en un regard à rendre les personnages tout aussi crédibles qu’attachants. Ils ont fait une confiance très flatteuse au scénario en le laissant porter la comédie, et en restant toujours au plus proche de la fragilité des personnages. J’ai été le premier surpris et ému de les voir prendre vie à ce point.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Multiforme j’espère ! Avec la multiplication des plateformes, on assiste à un certain formatage des récits, dans les séries et longs métrages notamment. Des narrations très calibrées, des codes visuels faciles à reconnaître… C’est bien sûr parfois agréable d’être en terrain connu, mais j’avoue être toujours séduit par la découverte d’univers différents. Parce que les enjeux de production et de diffusion sont différents, j’ai l’impression que les courts métrages échappent souvent à ce formatage. Il suffit de voir une programmation de festival (Clermont en tête) pour réaliser qu’il existe bien souvent un langage différent pour chaque court métrage. Des visions du monde qu’il aurait été impossible d’imaginer avant le film. J’espère que ça continuera longtemps.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Je conseillerais d’affronter l’ennui plutôt que d’essayer de lui échapper ! En recommandant donc quelque chose d’extrêmement long et ennuyeux, comme l’intégrale de Derrick. À redécouvrir sans tarder dès la prochaine vague.
Pour voir Bruits blancs, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F12.