Lunch avec Pinpin
Entretien avec Jaime Levinas, réalisateur de Pinpin
Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce film sur la rencontre entre le personnage principal et la caissière ?
Je crois qu’au fond, c’est « l’insignifiance » des choses – et le côté tragique qui peut aller avec –, qui m’a poussé à faire ce film. Le fait qu’une chose puisse prendre une importance infinie et n’aboutir qu’à un tout petit rien. Dans le cas du film, un jeune homme intrigué par une rumeur, et une caissière qui donne une friandise gratuitement. Mais ces « petits riens » sont porteurs d’un rythme qui nous permet de suivre les personnages au sein de ce quartier. Petit à petit, nous apprenons à imaginer leur univers. C’est comme une vitrine qui nous permet de projeter d’autres thèmes comme la notion d’apatride, le besoin de rencontrer l’autre, les rapports de classes sociales, etc. La sœur du personnage qui flâne sur la terrasse, la caissière dans sa supérette, les magasins de la zone commerciale… Tels sont les éléments de l’univers que je voulais créer, plus que les personnages en eux-mêmes, qui ne sont qu’éphémères. C’est la relation entre les personnages et leur environnement quotidien qui prend toute l’importance. Et le film devient ainsi, à mon sens, un hommage à toutes les vies du quartier El Once, par le prisme de mes souvenirs.
Pourquoi avoir choisi ce titre ?
En faisant mes recherches, j’ai entendu parler d’une personne qui s’appelait Pinpin. D’abord, je me suis dit que c’était probablement une erreur ou un nom inventé, sans aucun rapport avec le mandarin. Plusieurs mois plus tard, alors que je terminais le film, j’ai commencé à me poser la question du titre, et après un long entretien téléphonique avec un ami, il m’a incité à regarder le sens du mot « pinpin » sur Internet. À ma grande surprise, il ne s’agissait pas d’un nom propre mais d’un concept qui résumait très bien le film. « Pinpin » peut signifier sans cesse, en boucle. D’un côté, il y a ce personnage de la caissière qui regarde en boucle les enregistrements de la caméra de sécurité, ce qui est une jolie coïncidence, mais à un niveau plus conceptuel, le film a été pensé comme une accumulation de scènes qui peuvent toutes revenir en boucle. Les conversations, les courses, les clopes sur le balcon, le trajet en ascenseur. Ce sont des événements qui, par essence, se répètent. Tout cela est parfaitement évoqué par la sonorité du mot « pinpin », que l’on peut répéter à l’infini.
Comment avez-vous travaillé sur les personnages avec les acteurs ?
Pour moi, c’est un travail qui commence dès le casting. Le casting me permet d’être en phase avec les gens avec qui je vais travailler. Plus que la lecture pure et simple des répliques du scénario, ce qui m’intéresse, c’est de connaître leur vie et d’y trouver des parallèles avec le récit que j’ai en tête. C’est en mettant à profit leur parcours et leur relation avec les thèmes abordés dans le film que nous construisons un langage commun. Cela vaut aussi bien pour les acteurs chevronnés que pour les non-professionnels. Il faut bien comprendre que les personnages du film ont des vies qui n’ont rien à voir avec la mienne, et vivent dans un tout autre univers. Les acteurs en savent bien plus long que moi sur les personnages qu’ils vont incarner. C’est pourquoi il est crucial de les écouter et de mettre à profit cette phase du travail pour apprendre des choses.
Pouvez-vous nous parler du processus de coproduction entre l’Argentine et les États-Unis ?
Tout d’abord, je tiens à préciser qu’il n’est pas facile de réaliser un film à des milliers de kilomètres de distance avec un budget limité, ni de travailler avec un monde qui, culturellement, a une conception totalement différente de la réalisation d’un film. Du moins en ce qui concerne le court métrage. En phase de pré-production, aux États-Unis, il s’agissait surtout d’administratif, de questions d’assurances et de sécurité. Ce qui s’est parfois avéré étouffant. C’est notre productrice américaine, Lindsay Calleran, qui a géré tout ça. Mais en arrivant en Argentine, avec rien de plus qu’une caméra et un scénario, on a reçu une claque. On rentrait dans le vif du sujet. En très peu de temps, il a fallu gagner la confiance d’un grand nombre de collaborateurs. C’est quand que j’ai rencontré Florencia de Mugica et Lucia Shapochnik (les productrices argentines de Bomba Cine) que les choses ont commencé à se décanter. J’ai vite compris que le véritable sens de ce projet, c’était de faire, pour la première fois de ma vie, un film dans mon pays et dans le quartier de mon enfance. Et que derrière toutes ces décisions, tous ces défis, il y avait surtout la sensation de faire quelque chose qui avait une forte résonnance personnelle pour tous les participants. En fait, quelques jours après le début du tournage, on a fait une magnifique constatation : bien que l’équipe soit composée de gens très différents, originaires de plusieurs pays, la communication ne passait plus par la langue. Il ne s’agissait plus de mots ni de concepts, mais de corps qui bougeaient en rythme – comme l’a très bien exprimé notre ingénieur du son, Facundo Giron, en disant : « On fait pas du cinéma, on fait du jazz. »
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Dans un sens, chaque court métrage tente de répondre à cette question. Du moins, les films que j’admire vraiment. Ce qui m’a paru important en réalisant Pinpin, c’était d’étudier la relation entre les digressions et la narration stricto sensu. De laisser la caméra s’aventurer dans des coins qui ne jouent pas de rôle direct dans l’intrigue du film. Souvent, dans les courts métrages, tout semble formaté pour aller dans le vif du sujet. Mais plutôt que de faire un film qui « fonctionne », je préférais faire un film qui s’attarde. Et donner le sentiment que des portes s’ouvrent… De ce point de vue, je dirais que le court métrage puise sa force dans cette liberté expérimentale qui permet de jouer avec le récit, les idées et l’esthétique. Mais je perçois dans votre question une certaine urgence : quelle est la place du court métrage dans l’avenir ? Le festival ? La vidéo à la demande ? La salle de cinéma ? Le musée ? Un simple lien sur Vimeo, ou un stockage sur un disque dur externe ? Sur bien des aspects, tout cela façonne ce que va être un court métrage. Ce n’est pas du tout la même chose de voir un film en salle, dans une galerie d’art ou sur un ordinateur portable. Lorsque le Covid-19 s’est abattu sur les festivals du monde entier et que beaucoup ont été annulés, les salles et les festivals ont été remis en question, et l’expérience cinématographique a changé. J’ai soudain ressenti le besoin de faire des versions différentes pour la diffusion sur Internet et la projection en salle. Au cinéma, le réalisateur décide quand commence et quand se termine le film. Même quand les lumières s’allument. Sur un ordinateur portable, le réalisateur décide quand commence le film, mais le spectateur peut avancer rapidement ou arrêter le visionnement. Dans une expo, le spectateur arrive à tout moment et part à tout moment. Le film ne peut pas être conçu de la même façon pour chaque forme de présentation. Donc à la question de ce que nous réserve l’avenir, la réponse se trouve dans la multiplicité des versions. Un film n’est pas juste un film, il peut contenir une pluralité de films ayant une vie propre dans l’univers de sa matière première.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
À vrai dire, ces derniers temps, j’ai moins soif de nouveauté, et je cherche plutôt à redécouvrir des vieux trucs. J’ai un grand besoin de choses familières. C’est ainsi que j’ai revu des vieux films et des grands classiques, avec une attirance particulière pour les films en costume et le fantastique. Plus légers et plus prenants que les films actuels, ils arrivent mieux à nous extraire de la réalité. Dans la foulée, je me suis lancé dans la réalisation d’un petit film de vampires inspiré de la littérature du XIXe siècle et des débuts du cinéma.
Pour voir Pinpin, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I6.