Breakfast avec Åsnelandet (Le Pays des ânes)
Entretien avec Bahar Pars, réalisatrice de Åsnelandet (Le Pays des ânes)
J’ai lu que Åsnelandet faisait partie d’une trilogie. Pouvez-vous nous parler de ce qui vous a inspiré cette trilogie ?
Lorsque j’ai commencé à travailler sur ce projet, j’ai vite compris qu’il y avait trop de matière, trop d’aspects à aborder pour un seul film. Faire une trilogie était une façon de me lancer un défi, de me forcer à répéter les mêmes choses mais d’un point de vue différent. Le défi, c’était de prendre un sujet important à bras le corps et de le rendre facile à comprendre. C’est une idée qui me passionne et qui est très complexe. Je veux consacrer ma vie à explorer ce sujet, mais je ne veux pas me répéter. La trilogie m’a permis cela, tout en gardant le même sujet central et en faisant en sorte que chaque film soit mieux réussi que le précédent. Mes films visent à montrer ces détails subtils, ces expressions complexes, en les mettant en scène avec une pointe d’humour, en amenant l’attention du spectateur vers telle ou telle situation, sans la pointer du doigt directement.
Votre film parle du racisme et des micro-agressions. Pourquoi, à votre avis, est-il important de montrer ces situations au cinéma à l’heure actuelle ?
J’ai connu le racisme très tôt dans ma vie. D’abord, j’ai vu les autres en faire les frais, notamment des Afghans quand je vivais en Iran. Puis, quand je suis arrivée en Suède comme refugiée, c’est contre moi que le racisme était dirigé. J’ai donc vécu toute ma vie avec. Le racisme est aussi dangereux pour les personnes qui le perpétuent que pour celles qui en sont victimes. Il influence les décisions des gens, leurs possibilités, il détruit l’élan vital de la société. Il peut parfois être un peu ennuyeux de parler de ces questions, ou de lire des choses sur le sujet. On entend souvent : « Oui, on sait… » Car ce racisme est vraiment intériorisé. Quand j’ai eu l’occasion de dire ouvertement ce que je voulais, je ne pouvais que choisir d’en parler au cinéma, en me disant que si j’arrivais à faire comprendre les choses à une seule personne, ce serait déjà ça. Ce que le cinéma nous montre, en général, c’est un racisme flagrant. Je voulais montrer le racisme au quotidien, un racisme intériorisé. Je n’avais rien vu de tel au cinéma, mais j’avais vu d’autres thèmes traités de façon subtile dans des films. Des thèmes difficiles à faire comprendre. Ce sont des choses très importantes, mais qui se voient peu, car elles sont présentes dans notre vie quotidienne, tout autour de nous. Il fallait fixer cela dans un film. Pour moi, le cinéma est un outil essentiel pour élargir les horizons et promouvoir le changement social dans le monde. Les choix que l’on fait lorsqu’on raconte ces histoires dans un film sont donc d’une grande importance.
Vous jouez le personnage d’Isallola, et vous avez aussi écrit le scénario. Le fait d’être vous-même actrice vous aide-t-il à développer les personnages ?
Pas autant qu’on aimerait, ha ha ha ! L’actrice va vouloir plus de temps à l’écran pour son personnage, tandis que la scénariste veut raconter l’histoire. Les deux ne font pas forcément bon ménage. Et puis, il y a la réalisatrice qui s’en mêle. C’est parfois compliqué. En plus, quand je suis en train de jouer, je dois penser à dire ceci ou cela au caméraman. Ça n’a pas été une sinécure, mais m’a forcé à toujours voir le processus de plusieurs points de vue en même temps.
Quel est votre court métrage de référence ?
Majorité opprimée, d’Éléonore Pourriat. Je l’ai vu il y a des années, bien avant de connaître les ficelles du métier, et j’ai été très impressionnée. C’est un film très fluide et drôle, bien qu’il aborde un sujet grave.
Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?
Clermont est un lieu important, et j’aime tout ce qui est important. Les films ne sont rien sans un public, et Clermont est une passerelle. Le court métrage est un média très sympa, et je pense qu’il va avoir de plus en plus la part belle à l’avenir. Voilà ce que représente pour moi le festival de Clermont. Un lieu où l’on vient du monde entier pour partager et pour exister. C’est très précieux.
Pour voir Åsnelandet (Le Pays des ânes), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I3.