Lunch avec Escaping the Fragile Planet (S’échapper de cette fragile planète)
Entretien avec Thanasis Tsimpinis, réalisateur de Escaping the Fragile Planet (S’échapper de cette fragile planète)
Qu’est-ce qui vous a amené à raconter l’histoire de cette rencontre entre deux hommes juste avant la fin du monde ?
On ne voit pas tant que ça d’histoires de rencontres entre deux hommes (ou deux femmes). Et comme je l’avais fait dans mon court métrage précédent, Fawns, j’aime inventer des personnages homos, même si je ne choisis pas forcément de parler de leur sexualité (ou d’une intrigue en rapport avec). Ce choix peut paraître sans rapport avec l’histoire, mais c’est justement le but : normaliser l’amour homosexuel. Mon approche avec ce film, c’était de raconter une rencontre tout à fait banale entre deux inconnus en quête de ce type de relation totalement innocente. Puis j’ai eu l’idée de la fin du monde, une façon selon moi d’appuyer le côté romantique de leur envie exacerbée de passer ce moment ensemble, malgré les événements surréalistes qui les entourent. Ce qui est drôle, c’est que ce que j’avais imaginé à l’époque comme une contre-utopie de science-fiction (des gens qui portent des masques dans des rues désertes), en écrivant le scénario en 2017, est devenu, à peu de chose près, notre réalité quotidienne. Je pense donc que plusieurs scènes du film vont toucher de près les spectateurs, et qu’ils vont pouvoir s’y retrouver, du moins je l’espère.
Aviez-vous déjà jeté votre dévolu sur les acteurs ? Comment s’est passé le casting ?
J’ai beaucoup discuté du choix des acteurs avec Phaedra Vokali, la productrice. Elle a dès le départ suggéré de prendre Michail Tabakakis et Nikos Lekakis et sincèrement, j’ai tout de suite accroché avec eux. J’ai tout de même passé du temps à consulter les ressources, mais j’avais toujours ces deux-là en tête. Alors j’ai décidé de suivre mon instinct et on les a contactés pour passer une audition, histoire de voir si la chimie fonctionnait bien entre eux. On leur a demandé d’improviser sur trois scènes dans lesquelles ils devaient immédiatement entrer dans un rapport de séduction. Dans la première scène, deux inconnus sont coincés dans un ascenseur. Dans la deuxième, deux potes s’ennuient dans une fête au bord d’une piscine. Dans la troisième, un couple n’arrive pas à s’entendre sur le choix d’un film pour la soirée. Le résultat était si vivant, si divertissant que je n’avais plus besoin de chercher ailleurs. Je voyais très bien cette étincelle entre eux, et leurs personnalités correspondaient aux personnages. On a bossé ensemble sur le gros des dialogues, en répétition. Mais on a décidé de tourner certaines scènes clés du film en impro, comme la scène du baiser, pour assurer la fraîcheur du moment. Un autre détail rigolo : le tour de magie que fait Michail dans une scène du film était un tour qu’il connaissait déjà et qu’il a fait aussi de manière quasi impromptue.
Que représente le brouillard rose ?
Le brouillard est une métaphore qui symbolise le temps. Il y a un compte à rebours dans toute histoire d’amour, dans toute relation, dans la vie en général. Pour eux, c’est la fin du monde, mais ce qu’ils décident de faire de ce temps est, à mon sens, très courageux. Vivre au présent a toujours été un acte de courage. Pourquoi le rose ? C’est une couleur vive, chaude, qui évoque le coucher de soleil. Elle peut avoir un côté romantique, mais également toxique. Je me suis dit qu’elle irait parfaitement à la dernière journée du monde (et d’une romance homosexuelle, au demeurant). On raconte souvent que la pollution de l’air met en valeur la beauté du coucher de soleil et donne de magnifiques couleurs au ciel. Mais comme pour beaucoup de légendes, ce symbolisme est une question d’interprétation, et c’est ça qui est beau.
Comment avez-vous construit le rythme lent et serein du film ?
Tout d’abord, l’étape du montage a constitué un défi pour moi, car c’était la première fois que je réalisais un film en confiant le montage à quelqu’un d’autre. Alors, bravo à notre fabuleuse monteuse, Smaro Papaevangelou, non seulement pour m’avoir poussé à m’adapter, mais aussi pour son excellent travail, qui lui a valu un prix au 43e festival international du court métrage de Drama. Ce film était aussi ma première expérience de ce format, en termes de durée et de narration linéaire. Nous avions convenu d’établir un rythme lent et naturellement paisible pour les scènes à l’intérieur, afin de créer un contraste avec ce qui était censé se passer dehors. Les acteurs ont grandement contribué à cela, et nous avons tenté de suivre ce rythme tranquille dans leurs échanges (et même de le mettre en valeur) en faisant le moins de coupes possible, histoire que les scènes aient l’air plus naturelles, et donc plus réalistes. Telle était ma vision dès le départ : garder une approche minimaliste de la narration, pour créer une opposition avec les séquences oniriques.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Je m’inspire de plus en plus de tous les courts métrages qui sortent régulièrement. Les courts ont toujours été un champ d’expérimentation de différents formats. Mais aujourd’hui, surtout de par leur qualité de production, ils sont à des kilomètres de ce qu’ils étaient il y a, disons, cinq ans. Je pense que le public les apprécie d’autant plus, car ils sont à la hauteur de leurs attentes. Je dois dire aussi que je suis très fier du fait que les courts métrages grecs (ainsi que les longs) soient bien représentés dans les festivals étrangers ces dernières années. Je ne peux donc que me réjouir de ce que nous réserve l’avenir ! En ce qui concerne le visionnement en ligne, qui a permis de toucher un public plus large, je pense que c’est devenu un support formidable, surtout par les temps qui courent, mais en complément. Comme le disait Pedro Almodovar, « certaines choses ne se découvrent que sur grand écran, dans le noir, aux côtés de personnes inconnues. »
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Des films en ligne (surtout les classiques répertoriés dans les listes d’incontournables). Des pièces de théâtre en ligne. Des concerts en ligne. Et oserai-je ajouter des jeux vidéo ? Je pense effectivement que certains peuvent avoir une qualité cinématographique, comme récemment The Last of Us Part II.
Pour voir Escaping the Fragile Planet (S’échapper de cette fragile planète), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I12.