Dernier verre avec Ir y Volver (Partir et revenir)
Entretien avec José Permar, réalisateur de Ir y Volver
Ce projet est manifestement très personnel et intime. Pouvez-vous me dire ce qui vous a donné envie de le faire ?
C’est surtout que je n’arrivais pas à travailler sur quoi que ce soit d’autre. Je traversais une période où ma famille et ma ville natale me manquaient beaucoup, je me sentais très éloigné et le confinement n’a fait que renforcer ce sentiment. Quand ma mère est tombée malade, il s’est passé très peu de temps entre le moment où j’ai appris la nouvelle et où le médecin nous a dit qu’elle avait peu de chances de s’en sortir. Il y a eu plusieurs semaines, durant son coma artificiel, où dans tous les échanges que j’avais avec ma famille ou les médecins, au final, j’essayais d’assimiler l’idée qu’elle puisse mourir. Tous nos échanges étaient numériques, même avant qu’elle tombe malade, et voilà qu’il n’était même plus possible de l’avoir au téléphone. Ses messages vocaux, les appels à ma sœur… je lui ai même demandé d’enregistrer ses communications téléphoniques avec les médecins afin de mieux comprendre ce qui se passait. Je n’avais à ma disposition que des documents numériques qui semblaient très lointains. Comme j’étais sur un autre continent, et que je n’avais pas la possibilité de revenir, tout me paraissait intangible et irréel, comme un mauvais rêve. Je faisais un Master en documentaire et j’étais censé réaliser un court métrage ce mois-là. Je n’arrivais pas à me concentrer sur quoi ce que ce soit d’autre, et puis le sentiment que, même si je rentrais chez moi, je ne pourrais rien faire pour aider, ça m’a fait me sentir impuissant et un peu bloqué. Quand ma mère s’est réveillée, et que j’ai pu enfin lui reparler, nous avons décidé d’enregistrer certains appels où elle me racontait ce qu’elle vivait durant le coma, et où on parlait de nos inquiétudes respectives, elle à mon sujet, moi pour elle, et pour notre famille. Je me suis rendu compte que j’avais aussi tous les messages vocaux que j’avais archivés sur mon téléphone, et rassembler toute cette matière pour en faire un film m’a aidé à satisfaire ce besoin de faire quelque chose de tout ça. Ça m’a permis de tourner la page et ça a donné à notre famille un moyen de mettre des mots sur ces émotions.
Quel conseil donneriez-vous aux réalisateurs et réalisatrices qui peinent à raconter leur propre histoire ?
Il faut trouver sa propre manière d’aborder les choses. Je pense que chaque histoire ou idée à une manière propre d’être mise en film, et quand les deux font sens ensemble, tout se met à couler de source. La manière d’aborder le récit ou la photographie d’un film peut être en accord avec la personnalité de chaque personne, avec notre capacité à parler ou ne pas parler de certains sujets ; ou encore, ça peut être totalement l’inverse, parce que le film n’est pas complètement nous. Chaque film peut être l’occasion de jouer un rôle, ou de se donner l’opportunité d’exprimer quelque chose qu’on aborderait de manière différente dans un autre média.
Pouvez-vous nous parler du processus d’écriture de Ir y Volver ?
Je me suis rendu compte que j’avais stocké sur mon téléphone tous les appels avec ma sœur, enregistré les appels avec les médecins, et différentes versions d’un message vocal que le personnel infirmier m’avait demandé d’envoyer à ma mère, afin de le lui faire écouter pendant son coma. Je ne savais pas quoi dire dans ce message, car celui-ci pouvait tout aussi bien être un message d’adieu qu’un coup pour rien, puisqu’il n’y avait aucune garantie qu’elle puisse réellement l’entendre. Pour l’écriture du film, je savais que je voulais recréer de manière abstraite le mouvement et le cheminement que je faisais pendant que ma mère traversait cette épreuve, et que nous avions envie d’enregistrer un autre appel entre nous, où elle expliquerait ses rêves et répondrait surtout à la question que je me posais : Maman, est-ce que tu pensais que tu étais morte ? Quel effet ça fait ? Je n’arrivais pas à produire un scenario écrit en bonne et due forme, ou parler de la structure du film, parce que dès que je me mettais à réécouter l’appel du médecin ou les messages de ma sœur, ça me remuait, et je me refermais, au point que je n’arrivais pas à parler en termes cinématographiques avec un quelconque collègue ou même sur papier. Tout ce que j’arrivais à faire, c’était passer des journées par ci par là à rassembler toute la matière première pour moi seul, la nettoyer, l’organiser, et m’aménager un espace confortable pour commencer à travailler directement sur le montage du film. Quand tout fut prêt, je me suis simplement mis à bricoler avec cette matière, seul dans mon coin, pendant quelques jours, jusqu’à ce que le film soit prêt.
Quelles réactions espérez-vous de la part des spectateurs ?
Je n’ai pas d’attentes particulières. Il s’agit pour moi d’un film très humble. D’ordinaire, je considère qu’il y a tant de ressources mobilisées dans la création des films qu’en tant que réalisateur on se doit de faire preuve de responsabilité, d’être concis, et conscient des publics. Mais ce film-ci était pour moi un projet expérimental, et l’occasion pour moi d’explorer de nouveaux modes de relation à mon processus créatif.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Il n’y en a aucun qui me vienne en tête spontanément. Mais, ces derniers temps, j’ai vu beaucoup de films sur la crise COVID se faire, ou de nombreux essais, documentaires introspectifs sous forme de monologues, puisque les confinements nous empêchaient de sortir et d’avoir du lien social. Quand ces films portent sur les généralités de la pandémie, je les trouve parfois un peu trop didactiques, mais quand ils partagent quelque chose de véritablement personnel, ils contiennent tous des réflexions très intimes sur la solitude, l’isolement, l’aliénation… Ce sont des ressentis similaires, mais qui diffèrent un peu d’une personne à une autre. Je trouve ça très beau, parce que c’est un reflet très juste de notre époque, qui va au-delà de l’urgence sanitaire. C’est comme s’il y avait tout un archipel de personnes esseulées qui aspiraient à du lien social, chacune sur sa petite île.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Je ne sais vraiment pas. Quand je me pose la question, la réponse varie selon l’humeur du jour. La seule définition qui reste à peu près stable dans ma tête, c’est quand un film crée quelque chose en nous qui ne peut être transmis que par le médium cinématographique et aucun autre. Un film, c’est un collage, fait d’images, de sons, de musique, de phrases, de narration… et chacun de ces éléments en lui-même peut provoquer quelque chose de fort. Mais il y a de brefs instants où un film provoque une émotion très abstraite qu’on ne peut pas expliquer uniquement avec des mots, des images ou des sons, mais en combinant tout ça.