Goûter avec Prosopagnosia (Prosopagnosie)
Entretien avec Steven Fraser, réalisateur de Prosopagnosia (Prosopagnosie)
Qu’est-ce qui vous a fait découvrir la prosopagnosie ?
Il y a plusieurs années, j’étais dans le processus du diagnostic de mon autisme. À ce moment, j’ai parlé à différents docteurs et experts qui m’ont posé beaucoup de questions sur ma façon d’interagir avec les gens. Ils se sont rendus compte dans cette période que je pouvais aussi être atteint de prosopagnosie, qu’on connaît également sous le nom de cécité faciale. J’ai réalisé mes difficultés à reconnaître les visages des gens et mon besoin d’utiliser différentes techniques pour comprendre qui est telle ou telle personne. Par exemple, je vais regarder les cheveux, les habits, ou la démarche de quelqu’un pour déterminer de qui il s’agit, et je ne regarderais pas son visage. J’emploie ces techniques automatiquement et sans y penser. Il s’est aussi avéré que j’aurai plus de difficulté de reconnaître des gens que je viens de rencontrer. Je reconnais plus facilement par exemple les voix, les cheveux ou les habits de mes amis ou de ma famille, auxquels je suis habitué. Si je n’ai rencontré quelqu’un qu’une fois ou deux, cela me sera plus difficile de savoir qui c’est les fois suivantes.
Est-ce que les croquis sont dessinés pour le film, ou bien s’agit-il d’outils réellement utilisés pour compenser la prosopagnosie ? Quelles sont les techniques utilisées pour l’animation ?
Ce sont de vrais croquis, faits pour m’aider à comprendre comment reconnaître les visages. J’ai pensé que le fait de dessiner l’apparence des gens m’aiderait à me rappeler les différents éléments de leurs visages. J’ai étudié différents visages et j’ai réfléchi à ce que des yeux pouvaient véhiculer, et à la manière dont différentes mimiques peuvent exprimer l’émotion. Au fil des ans j’avais beaucoup de dessins et d’esquisses dans un tas de carnets et de blocs notes. Pour le film je les ai collectés dans de nouveaux cahiers, ce qui m’a permis de les montrer en les animant de la manière précise souhaitée. Dans Prosopagnosia j’utilise différentes techniques. J’utilise essentiellement l’image par image. Je vais prendre une photo, puis changer un peu le cahier (par exemple, déchirer une page ou utiliser du blanc pour effacer l’image), puis je prends une autre photo, et je les rassemble l’une à la suite de l’autre pour créer l’animation. J’utilise aussi le flipbook (folioscope),et quelques autres techniques. Je crois que cette diversité de styles m’a été utile à évoquer les thèmes et les émotions du court.
Dans quelle mesure la voix off tient-elle du document ?
La voix off est réenregistrée à partir du journal intime que je tenais pendant le processus de diagnostic. Quand j’ai fait ces enregistrements, je ne comptais pas faire un film sur mon expérience de la cécité faciale. Par conséquent, la qualité audio est mauvaise et parfois je parle de choses qui n’apportent rien de pertinent vis-à-vis du court métrage. En faisant le film, j’ai décidé de réenregistrer une partie des cassettes pour améliorer la qualité sonore et pour que la voix off n’évoque que des choses qui avaient un rapport avec le récit.
Est-ce que vous dessinez souvent des story-boards avant un projet ? Collecter des idées de portraits et visualiser un découpage, à quel point est-ce différent ?
Je passe toujours beaucoup de temps à planifier et à organiser les projets avant de commencer l’animation. Je m’assure de savoir exactement ce que je veux faire et dire dans le film avant de tout mettre en œuvre. L’animation est une activité chronophage, je fais donc tout ce que je peux pur me faciliter la tâche. Le story-board, les croquis, écrire ce que je veux dire, ça constitue une étape importante pour moi. J’aime expérimenter, ce qui fait que même si j’ai tout planifié, je ne sais pas toujours à quoi le résultat ressemblera. Dans Prosopagnosia, il y a une scène où les pages du carnet sont déchirées puis épluchées. Je savais que je voulais une scène comme ça, mais je n’étais pas complètement sûr de ce que ça donnerait avant de commencer à l’animer. Faire le story-board et le programme en avance m’a donné le temps et la liberté d’animer la scène. Je pense que compiler des idées et visualiser un découpage sont des choses différentes, parce que dans le cas du story-board on doit travailler avec des objets préexistants. J’aime bien regarder de vieilles photos et en tirer des idées. Je trouve que ça donne de nouvelles perspectives enthousiasmantes. En même temps, j’aime aussi vraiment créer de nouvelles idées. Je suis toujours en train de faire des croquis, prendre des photos, écrire ce que je pense et ce que je ressens.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Je crois que mon court préféré, c’est Les Îles, de Yann Gonzalez. Il m’a marqué par sa force d’expression et son étrangeté. Ça ressemble à un rêve où l’horreur et le désir se mélangent d’une manière très audacieuse et dramatique.
Pour voir Prosopagnosia (Prosopagnosie), rendez-vous aux séances de la compétition labo L1.