Lunch avec Heaven Reaches Down to Earth (Le paradis descend sur Terre)
Interview de Tebogo Malebogo, réalisateur de Heaven Reaches Down to Earth (Le paradis descend sur Terre)
C’est un film très poétique. Pourquoi avoir choisi ce titre tout aussi lyrique ?
Le titre est tiré des dernières pages de Appelle-moi par ton nom d’André Aciman. Le film de Luca Guadagnino a évidemment été une source d’inspiration. Après avoir trouvé le lieu de tournage pour notre film et cette citation, c’est comme si tous les éléments s’alignaient pour dire tout ce que nous avions à raconter, à savoir l’histoire de deux hommes dans un voyage inexpliqué, loin de toute civilisation et qui découvrent les sentiments qu’ils éprouvent l’un pour l’autre
Pourquoi avoir choisi d’aborder ce sujet de manière aussi abstraite et stylisée ?
Notre manière d’aborder ce film est une réaction à notre approche du sujet de notre film précédent. Celui-ci était très terre à terre, presque une reconstitution plan par plan de mon histoire. Pour Heaven Reaches Down to Earth, nous avons essayé de faire abstraction de tout cela. Avec mon coproducteur, nous avons cherché à déconstruire tout ce qui nous plaisait dans notre « histoire ». Ce film est un assemblage de pensées et d’expériences vécues par mon producteur, les acteurs principaux et moi-même. Le montage a consisté à faire un patchwork de ces souvenirs. Il était crucial pour moi de me lancer dans cette aventure expérimentale et de faire en sorte que le film soit captivant et hors du commun. J’ai senti que c’était la bonne manière d’aborder une première histoire d’amour.
Qu’espérez-vous que le public retire de ce film ?
Je ne veux pas donner de pistes aux spectateurs, mais plutôt partager mon interprétation de cette pulsion électrique qu’est l’amour. Ce film est une ode de dix minutes aux petites prises de conscience que l’on a lorsqu’on éprouve des sentiments pour une autre personne (ou inversement). Je pense que les spectateurs auront différentes interprétations du film à différents moments, selon leur vécu et ce qu’ils veulent en retirer. C’est un risque que nous avons adoré prendre avec ce film. Cela me paraissait malhonnête et surfait d’essayer d’introduire un conflit dans cette nouvelle histoire d’amour queer. À l’inverse, notre film montre deux hommes noirs qui laissent leurs sentiments les submerger, de manière spontanée et sans être interrompus.
Sur quels sujets envisagez-vous de réaliser un film ?
Je m’intéresse au passé et au futur du continent africain, mais avec un point de vue spécifique. En opposition au terme un peu fourre-tout d’« afrofuturisme », je me pose plutôt les questions suivantes : À quoi ressembleront la maison de famille de ma mère dans 100 ans et ceux qui y vivront ? De quoi parleront-ils ? Comment se fait-il que l’industrie minière jette encore une ombre sur Soweto, d’où est originaire mon père ? Je suis impatient d’explorer ce que ces questions impliquent pour mes proches par le biais de tous les films et œuvres d’art auxquels nous avons accès aujourd’hui. Mon travail aborde les thèmes de la mémoire générationnelle, du réalisme magique et des familles dysfonctionnelles (tous mêlés aux courants changeants de l’Afrique).
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Je pense que les attentes des spectateurs vis-à-vis des courts métrages sont de plus en plus larges. Ce format sert de laboratoire aux réalisateurs. Ils tentent l’impossible, échouent parfois, mais retirent toujours énormément de choses de ces expériences. Si ce format est libéré d’un grand nombre des contraintes (parfois) imposées à des contenus plus longs et plus « sûrs » c’est selon moi parce que les enjeux sont moindres. Ces expérimentations vont continuer de se développer à mesure que l’accès aux technologies se popularise. Les festivals à distance sont aussi l’occasion pour de nombreuses parties prenantes de participer aux débats. J’espère que ces accès en ligne cohabiteront avec les projections en public une fois la pandémie terminée.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
J’ai adoré les séries Small Axe de Steve McQueen, I May Destroy You de Michaela Boakye-Collinson ou encore Over The Garden Wall. Je me suis aussi replongé dans la filmographie de Céline Sciamma, Kelly Reichardt, Djibril Mambety, Hirokazu Koreeda, Frederick Wiseman et Charles Burnett. Et j’ai écouté en boucle Frank Ocean, Billie Holiday et MF DOOM.
Pour voir Heaven Reaches Down to Earth (Le paradis descend sur Terre), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I11.