Goûter avec Le sang de la veine
Entretien avec Martin Jauvat, réalisateur de Le sang de la veine
Pouvez-vous expliquer votre choix de titre ?
« Le sang de la veine », c’est une expression affectueuse que tu réserves aux gens vraiment extrêmement proches de toi, tes meilleurs amis, ceux que tu considères comme ta famille, avec qui tu as une relation de confiance et de tendresse privilégiée. Dire à quelqu’un qu’il est le sang, c’est tout sauf anodin – et « le sang de la veine », c’est encore plus fort. Cette expression a notamment été démocratisée par Jul, qui est très proche de sa communauté. C’est genre « on est ensemble », comme une grande famille super soudée qui s’aime plus que tout. J’ai choisi ce titre parce que je trouvais ça drôle de donner une expression aussi street et triviale à une comédie romantique. Après avoir choisi de placer un rappeur populaire comme Jul au cœur de la romance entre Rayan et Zoé, et de conclure leur histoire de cette façon à la fois tendre et ambigüe, entre amitié et sentiment amoureux, je trouvais que le titre s’imposait. Et puis, ça sonne bien, non ?
Pour ceux qui ne connaissent pas, qui est Jul ? Pourquoi l’avoir choisi comme objet de la dispute entre nos protagonistes ?
Jul, c’est un rappeur marseillais, depuis peu le plus gros vendeur de l’histoire du rap français, tout de même. Il incarne Marseille, le sud, la zone. Il sort des albums tout le temps, il est extrêmement productif et proche de son public, sa « team ». Il est méga connu pour son signe qui donne quelque chose comme ça quand tu le fais avec tes doigts : J U L. Déjà j’suis archi fan de Jul. Je l’écoute tous les jours, il me donne la pêche, et puis je l’adore, lui, en tant que personne. J’aime sa façon d’être sincère, d »exprimer ses émotions, ses joies, sa tristesse. Pendant longtemps, j’aimais pas du tout ce qu’il faisait, je trouvais ça assez horrible, je le méprisais un peu, sans trop m’en rendre compte. Et puis un jour, par hasard, j’ai compris. Et ça a changé ma vie. Depuis, je prêche pour sa paroisse. Alors, j’ai l’impression que c’est de moins en moins le cas, mais il reste quand même beaucoup de gens qui détestent et méprisent Jul. En fait, sa musique est méga clivante à cause de ses instrus globalement un peu cheap, de sa façon d’utiliser l’autotune, de ses paroles parfois maladroites, et il n’est pas rare de rencontrer des gens qui le clashent sans scrupules. En général, ils ne connaissent pas bien sa musique, et s’en moquent à cause de Tchikita ou L’ovni. Dans ce genre de cas, j’ai tendance à monter au créneau, un peu comme Rayan dans mon film. Et en même temps, l’inverse arrive également. Moi, par exemple, j’ai conquis le cœur de ma copine, Mahaut, en lui faisant écouter Parfum Quartier quand on s’est rencontrés, alors que de base elle n’aimait pas trop Jul. Donc avec lui, tout est possible.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le comportement étrange de la famille ?
J’avais dans l’idée de créer un décalage avec les extérieurs banals des pavillons qu’on voit partout dans ma ville natale, à Chelles, et un intérieur étrange, un peu mystique, bleu comme un aquarium ou un vaisseau extraterrestre. Dans cette démarche je me suis beaucoup inspiré des intérieurs de Nowhere, de Gregg Araki, un film de ouf que j’ai vu genre deux semaines avant le tournage – j’aime beaucoup ce que fait Gregg Araki en général, surtout Mysterious Skin. Là-dessus, j’avais envie de faire basculer le point de départ super trivial du récit, Rayan qui court en claquettes-chaussettes à son date Tinder dans une ambiance vraiment bizarre, voire inquiétante. Ces scènes initiales qui frisent l’absurde me semblent renforcer le contraste avec la tendresse qui suit, elles rendent toute la trajectoire du récit d’autant plus imprévisible et surprenante. Mais j’ai l’impression aussi que cette bizarrerie et ce malaise qui accueillent Rayan, c’est des sentiments qui accompagnent souvent la rencontre de l’inconnu, de l’altérité en général, non ? Peut-être pas à ce point non plus, remarque. Je sais pas. À part ça, je suis passionné par le mythe d’Atlantide, j’y crois à mort, surtout depuis que je suis au courant des prophéties d’Edgar Cayce, donc c’est tout naturellement que la famille s’est retrouvée à regarder un documentaire complotiste sur ce sujet. Et puis j’adore le ping-pong, j’en ai fait en club pendant des années, je trouve ça rigolo et très cinégénique donc j’essaye toujours d’en parsemer un peu dans un film – parce que j’ai fait d’autres films, que personne n’a vus, où y avait également de sacrées scènes de ping-pong. Et puis voilà, cette famille est à l’image de la population chelloise dans son ensemble : si vous ne me croyez pas vous avez qu’à passer visiter, en plus y a plein de coins magnifiques, vous serez pas déçus.
Qu’aimeriez-vous susciter chez votre public ?
J’aimerais bien, en théorie, susciter du bonheur : j’ai envie de faire des choses positives, souriantes, solaires, rigolotes. J’aime la légèreté et les blagues, mais je m’intéresse aussi beaucoup à la tristesse, enfin à petites doses, quoi, tranquille, et puis à la tendresse, à la sincérité. J’aime bien quand des garçons parlent de leurs sentiments. Ce que j’adore en vrai c’est la mélancolie, quelque chose que je retrouve à fond dans beaucoup de chansons de Jul, justement. Ma chanson préférée, Parfum Quartier, je la trouve magnifique, elle me donne envie de sourire et chialer en même temps. J’kiff trop la phrase de Victor Hugo qui dit « la mélancolie c’est le bonheur d’être triste » – gros gros big up à lui d’ailleurs, il a écrit des poèmes à Chelles, ça fait plaisir.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Ce serait cool que les courts métrages sortent un peu des cercles des publics archi cinéphiles ou habitués aux festivals ! Moi dans mes potes de Chelles j’en connais à peu près aucun qui regarde des court métrages, et c’est dommage, parce qu’ils kifferaient sûrement – moi-même j’en regarde pas trop en vrai. Faudrait voir si des modes de diffusion ou des nouveaux médias permettraient un peu de démocratiser l’accès à ce format, parce qu’il peut être super intéressant. En plus justement ce film, Le sang de la veine, il a un côté pop et méga accessible, pour moi il s’adresse pas exclusivement à un public de cinéphiles avertis !
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous ?
Lire c’est trooooop stylé ! Surtout le soir avant de dormir, comme ça tu t’endors trop peace, tranquille. Moi je relis Hunter x Hunter là, et puis sinon Ursula K. Le Guin, c’est génial, Terremer et La Main Gauche de la nuit, et y en a encore plein que j’ai pas lu, c’est génial, j’ai hâte, elle est trop forte. Après on s’est refait tout Breaking Bad là pendant le deuxième confinement, c’est quand même sacrément de la frappe, et puis aussi les Maigret avec Bruno Cremer ! Le tout sans oublier, bien sûr, une bonne dose de Jul, au moins 3 à 4 fois par jour – je fais volontiers tourner ma propre playlist sur demande.
Pour voir Le sang de la veine, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F7.