Goûter avec Tu seras un ultra
Entretien avec Maxence Voiseux, réalisateur de Tu seras un ultra
Quel a été le point de départ de Tu seras un ultra ?
Le producteur Alexandre Hallier (La Générale de production) développait une série documentaire sur le monde des ultras. Il a voulu associer des différents cinéastes. J’avais côtoyé Alexandre Hallier dans le cadre de commission documentaire et nous nous étions dit que nous travaillerions un jour ensemble. Notre goût partagé pour le sport et la politique a fait son chemin et Alexandre m’a appelé pour venir travailler sur cette série. C’était une première pour moi : réaliser un film que je n’avais pas décidé, presque une commande en quelque sorte. Le cadre m’intéressait, les personnages m’intriguaient et je crois que cela suffisait pour que j’y aille. La seule contrainte était la durée du film qui était relativement courte : 10 minutes par épisode. Je devais réaliser un second épisode à Berlin avant que le premier confinement de mars ne soit décrété. La série a donc été fort impacté et présente donc moins d’épisode que prévu.
Comment s’est passée la réalisation du film, de son écriture à sa post-production ?
C’est encore une première : je n’ai pas du tout écrit le film en amont. Je me suis beaucoup documenté, j’ai fait un peu de repérages et réfléchi à la mise en scène. La seule chose que demandaient le producteur et les chaînes était une petite note d’intention pour expliquer le point de vue de chaque auteur sur ses épisodes. J’ai défendu tout de suite une écriture proche de celle de la fiction. Je décrirai le film comme un essai documentaire. J’ai tourné sur 5 jours dans différents lieux de Lyon, du stade (l’ancien et le nouveau), et autour d’archives. Ces images sont teintées d’une certaine force mais elles ne font pas « séquence ». Ce sont des fragments d’ambiance, de traces, et surtout d’évocation de la culture ultra à Lyon. Je savais que la narration s’écrirait au montage. Le plus gros du travail a été celui documentaire : j’ai procédé à plusieurs heures d’entretiens avec les ultras pour évoquer l’identité ultra, leur histoire, la trajectoire de chacun… Les ultras venaient des deux principaux kops de l’OL : Les Bad Gones et Lyon 1950. Ces deux groupes de supporters sont à la fois rivaux et engagés. Ils sont surtout très liés à l’histoire de la ville et du club. Ce que j’ai appris, c’est que l’ultra défend dans une certaine mesure autant l’identité d’un territoire, d’une ville (histoire, gastronomie, langue, culture), que le football. A partir de ces entretiens, j’ai écrit le parcours de « mon » ultra, incarné ensuite par le comédien Alexandre Schreiber.
Le film suggère que l’appartenance aux ultras est devenue l’unique identité du père, dont la vie s’est peu à peu écroulée. Aviez-vous envie d’interroger, à travers ce film, la question de l’identité ?
Je dirais la question de l’appartenance à la communauté ultra, que je rapproche à celle de la culture populaire. J’ai réussi à ramener ce film vers des préoccupations qui m’occupent dans mon travail en général.
Ce film évoque aussi la transmission, mais une transmission qui échoue : le fils apparaît à travers sa voix, plus qu’à travers les images, comme pour montrer qu’il est toujours resté à l’extérieur de cet univers. Est-ce bien l’intention derrière ce parti pris ?
L’histoire du personnage est celle d’un jeune homme qui est entraîné malgré lui dans une histoire qu’il n’a pas choisie. C’est au départ un gamin qui n’aime pas le football mais qui va s’engager dans la communauté ultra pour « sauver » son père qui en a été exclu. Travailler sur les ultras m’a permis d’écarter beaucoup de stéréotypes – ce que fait (je l’espère) la série. Les ultras ont chacun une raison à s’engager de cette manière. Ils racontent à leur façon ce qu’est de faire communauté, de défendre une certaine idée de la culture populaire. Parler de ce milieu, évoquer ce lieu à cette époque, c’est d’abord raconter cette histoire d’un point de vue peu entendu. C’est aussi parler d’une certaine culture populaire, d’un contexte social et politique, de la surveillance de masse, dont sont victimes les ultras. Les clubs de football sont devenus de vraies marques à défendre. Le football mondialisé, caricature du sport marchand, incarne les dérives du marché. Les stades répondent désormais à des stratégies économiques, rémunératrices et sécurisées. Ce mouvement s’accompagne d’une brutale gentrification, et donc d’une désaffection profonde des classes populaires éloignées peu à peu des enceintes sportives. Dans ces bouleversements, les ultras représentent les piliers de la culture du club et de la ville, dans leur amour comme dans leur excès de ce qu’est être supporter d’un club.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Le cinéma entre dans une période de grands bouleversements et il est certain que le court va en être affecté – tant dans son économie, que dans sa diffusion. Je ne crois pas que les plateformes aient une forte appétence pour le court métrage – mais sait-on jamais ? Je pense qu’il faut continuer à défendre cette forme pour qu’elle reste un laboratoire de nouvelles écritures, d’histoires étonnantes et surtout de gestes de cinéma impossible à tenter ou à réaliser en long métrage.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Lire toute l’oeuvre de Jean Echenoz.
Pour voir Tu seras un ultra, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F7.