Goûter avec Vagalumes (Lucioles)
Entretien avec Léo Bittencourt, réalisateur de Vagalumes (Lucioles)
Comment vous est venue l’idée de filmer un parc la nuit ?
C’est en faisant des recherches sur la construction du parc que nous avons décidé de changer le thème principal du film. Le parc de Flamengo, également appelé Aterro do Flamengo, faisait partie des grands chantiers de rénovation du centre-ville de Rio. Dans le cadre de ce projet de « modernisation », de nombreuses familles pauvres ont été déplacées vers la périphérie de la ville, et d’immenses collines ont été rasées. La décision de filmer de nuit a été prise afin de recentrer le film sur une population qui habite le parc mais n’est pas incluse dans cette idée-là du progrès. Une population toujours marginalisée qui trouve là un refuge pour la nuit. Les sans-abris, qui pratiquent le candomblé, et ceux qui s’adonnent à la prostitution, sont les lucioles qui brillent dans l’obscurité de l’Aterro. Ces personnages, bien que dans l’ombre de l’idéal moderne qui sous-tend la construction du parc, font de ce lieu un espace d’expérimentation pour d’autres formes de sociabilité, de combat, de plaisir.
Pourquoi avoir choisi le parc de Flamengo plutôt qu’un autre ?
J’habite près de ce parc depuis de nombreuses années. C’est un lieu qui me passionne, pour sa beauté et sa diversité. Il est fréquenté par des gens venus des quatre coins de la ville. Aterro do Flamengo est un espace qui regorge de vie, et dont la population change du tout au tout entre le jour et la nuit. Cela dit, ce qui me fascinait le plus d’un point de vue cinématographique, c’est le côté artificiel du parc. Il a été créé en asséchant les eaux de la baie de Guanabara avec la terre d’une gigantesque colline, dans une vision du progrès non moins pharaonique. Voilà qui donne une grande liberté artistique. Si tout, dans cet espace, a été idéalisé, le film lui aussi peut partir de ce postulat et créer son propre espace. Un espace qui n’existe qu’à travers le cinéma. Vagalumes raconte une déambulation nocturne qui commence dans une ambiance de science-fiction, et évolue vers une expérience sensorielle parmi les plantes, les gens, les animaux et l’architecture qui culmine dans une apothéose orgasmique de tout le parc.
Avez-vous fait des recherches sur l’activité nocturne du parc ? Le film est-il partiellement un documentaire ? Et les personnages sont-ils tous des acteurs ?
Nous avons mené de longues recherches sur place à la tombée de la nuit. Giovani Barros était chargé de la recherche sur la prostitution et Sabrina Bitencourt de celle sur les sans-abris. En plus de cela, Juliano et moi sommes allés dans le parc la nuit un nombre incalculable de fois, juste pour observer la vie nocturne sur le terrain. Malgré ces recherches minutieuses et le fait que beaucoup de situations décrites dans le film soient inspirées par l’observation, je ne vois pas Vagalumes comme un documentaire sur la vie nocturne de l’Aterro. Le regard du film est très sélectif et exclue volontairement d’autres utilisations nocturnes des infrastructures du parc. L’observation nous a permis d’élaborer les scènes. Vagalumes est un film hybride, qui mélange des scènes de fiction et des scènes de documentaire. Nous avons fait ce choix pour deux raisons : tout d’abord, nous voulions faire un film qui incorpore l’artificialité inhérente à la construction du parc dans toutes ses étapes et sous tous ses aspects. La seconde raison est d’ordre éthique : les hommes qui vont au parc pour des rencontres ne souhaitent pas que leur identité soit révélée. De plus, les sans-abris se trouvant dans une situation sociale plus fragile, nous préférons ne pas les montrer et engager des acteurs pour recréer des scènes dont nous avons été témoins lors de nos recherches. Cela dit, certaines personnes avaient envie de figurer dans le film, et nous les avons intégrées aux scènes documentaires.
D’où vient la chanson de Logunedé ? Quelle est son importance dans Vagalumes ?
C’est une chanson en hommage à Oxóssi, un orixá du candomblé, religion afro-brésilienne. Dans le candomblé, on croit à un Être Suprême (Olorum) et on voue un culte aux forces de la nature incarnées par des ancêtres déifiés, les orixás. Oxóssi est le dieu des chasseurs. Il les protège et leur garantit une bonne chasse. La chanson présente Logunedé comme le fils né de l’union entre Oxóssi et Oxum. Logunedé est aussi un orixá qui protège les chasseurs. Il a la particularité d’être en alternance un homme lors de ses six mois sur terre, et une femme lors de ses six mois dans l’eau. La chanson en l’honneur d’Oxóssi arrive vers le milieu de Vagalumes et a pour fonction d’« enchanter » le parc. Sa chanson « réveille » les plantes, les animaux, les hommes et les objets en les entraînant dans un état d’enchantement hédoniste. Cette séquence évoque également le souvenir du peuple noir qui a été chassé du centre-ville, de ses maisons et de ses terres. C’est un retour symbolique, car le parc de Flamengo a été construit avec la terre de la colline de Santo Antônio. La séquence rend hommage à la lutte des populations noires pour sauver leur identité, leur religion et leurs traditions. Ainsi, dans le film, l’offrande à Oxóssi fait le lien entre le passé et le présent.
Vous intéressez-vous particulièrement au lien avec la nature et pensez-vous aborder cet aspect dans vos prochains films ?
Je m’intéresse à la rencontre entre la nature et la société, et à la dynamique entre ces forces. Qu’est-ce qui ressort de cette rencontre ? C’est un thème que je souhaite exploiter d’un point de vue cinématographique.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
La pandémie de Covid-19 a beaucoup accéléré la consommation de films en ligne. Au Brésil, les courts métrages ont souffert de l’absence d’espaces de projection. Avec l’isolement social et l’essor de la culture du streaming, je pense que les plateformes spécialisées dans les courts métrages vont fleurir. Donc, même en dehors des salles obscures, je vois un avenir prometteur pour le court métrage.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
J’aimerais suggérer au public français de regarder plus de films brésiliens. Le cinéma brésilien contemporain est riche et varié, et peut être l’occasion de découvrir d’autres modes de vie et d’autres regards sur le monde.
Pour voir Vagalumes (Lucioles), rendez-vous aux séances de la compétition labo L2.