Goûter avec À la mer poussière
Entretien avec Héloïse Ferlay, réalisatrice de À la mer poussière
Quels matériaux avez-vous utilisé pour les corps et pour les larmes, et dans quels buts ? Combien d’essais avez-vous faits avant d’obtenir l’effet que vous vouliez donner à voir ?
Les corps de mes marionnettes sont recouverts de laine, et les larmes sont faites en gel hydro alcoolique, avant que ce ne soit à la mode ! La laine est un matériau dont j’adore la prise à la lumière. Elle a un rendu doux et diffus de loin, mais aussi une précision et un piqué très marqué en gros plan. Elle est extrêmement malléable et me permet une grande liberté de formes, elle est légère, pour À la mer poussière, je l’ai utilisée pour exprimer le désarroi et l’angoisse de la mère. Techniquement, elle est un plus à la longévité des marionnettes : pour les réparations, pour cacher des défauts parfois, pour fabriquer très rapidement bouches et paupières de formes uniques, et contrairement à la pâte à modeler, elle a beaucoup moins tendance à se salir à force de manipulations. J’ai choisi de faire les larmes dans une matière brillante et liquide comme les vraies larmes car il me fallait un rendu réaliste pour faire passer les émotions, comme pour les yeux qui sont très travaillés. D’un accord commun avec le chef déco du film, Hugo Chapelon, très peu de choses brillent dans mon film, et tout détail choisi qui ne serait pas mat comme le reste, ressort beaucoup, comme les lames des ciseaux de Zoé.
La représentation de cette famille dans un environnement aussi isolé fait-elle partie d’un choix scénaristique ou est-ce une abstraction de leur crise ?
Les deux. Cette histoire parle de trois êtres humains qui se sentent absolument seuls et dont le but est de se connecter aux deux autres, il n’était donc pas souhaitable de les situer dans un cadre avec d’autres relations sociales, voisin.es ou camarades d’école, qui seraient venus interférer et peut-être contrebalancer leur trio sur lequel je voulais me concentrer. Mais évidemment que cette petite maison perdue est aussi comme eux, un îlot dans le désert, qui n’est pas oasis pour autant, et dont l’image accentue le sentiment de solitude.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la thématique du chagrin et peut-on parler de dépression dans A la mer poussière ?
Ce qui m’intéressait surtout c’était comment trois êtres humains pouvaient réagir chacun et chacune différemment à une situation commune, et à l’énorme chagrin ressenti. La colère, l’apathie ou la gentillesse. Ce que j’aime aussi, c’est apprendre les différentes raisons que les spectateurices voient à l’attitude de la mère. Je n’avais pas la dépression en tête en écrivant le scénario, mais il s’est avéré que c’est la réponse la plus proposée. Alors si vous voulez y voir une dépression… C’est vous qui décidez.
Comment avez-vous travaillé sur le son ?
Pour la musique, tout a été composé par Antonin Tardy. Pour la scène de l’accident en particulier, il a enregistré avant l’animation, et j’ai animé avec la musique en support. Pour les bruitages, le montage son et le mixage, j’ai à nouveau travaillé avec le duo de choc d’Antoine Martin et Lucien Richardson, qui sont toujours force de proposition. En animation il faut tout décider : les contacts de peaux des personnages vont-ils faire un son de peau humain ou un son de laine frottée ? Dans quelle mesure les planctons lumineux de la fin font-ils un son ?
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Ce format est celui de la créativité, de tous les possibles. Je pense qu’il continuera d’exister car comment devenir une bonne réalisatrice ou un bon réalisateur sans passer par le court ? Mais j’espère qu’il continuera d’y avoir tant de festivals pour les montrer !
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
L’excellent BD C’est comme ça que je disparais de Mirion Malle qui elle parle bien de dépression, ainsi que Baume du Tigre de Lucie Quéméner qui aborde des relations familiales complexes avec une grande tendresse. Mais je conseille surtout de se nourrir de la culture, et de garder si possible du temps pour s’ennuyer !
Pour voir À la mer poussière, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F10.